Le "Jean Fontenoy" de Philippe Vilgier

Il est arrivé à Philippe Vilgier ce qu’il peut arriver de pire à un biographe : alors qu’il travaillait depuis des années sur son portrait de Jean Fontenoy, un autre chercheur, Gérard Guégan, le bat sur le poteau, en publiant, quelques mois avant lui, un Fontenoy ne reviendra plus.(Stock 2011). S’il s’agissait de la centième biographie de Kennedy ou de Simenon, cela n’aurait guère d’importance. Mais Fontenoy !

 

Le personnage est certes étrange, fascinant à certains égards. Mais il ne fut qu’un second couteau du journalisme, de la littérature, de l’aventure militaire ou politique, et même de la collaboration. Bien peu de gens connaissent Fontenoy. Alors, deux biographies de cet homme en moins d’un an, quel dommage pour celui des deux chercheurs qui y a consacré le plus de temps, le plus de passion Mais aussi quel hasard extraordinaire !

Surnommé certes « le Malraux fasciste » par l’historien  Pierre-Marie Dioudonnat, voici un homme dont plus personne n’avait entendu parler depuis ce 27 avril 1945 où il s’était donné la mort, dans les ruines de Berlin, face aux troupes soviétiques. Et soudain il ressuscite sous la plume de deux chercheurs aux parcours et aux points de vue très différents, l’un venu de la gauche (Guégan a été au Parti communiste, puis est passé à l’extrême gaiuche), l’autre venu de la droite militante des années soixante-dix. Mais qui, l’un et l’autre, nous donnent un portrait que l’on pourrait qualifier de « complaisant », si cet adjectif n’avait une consonnance négative. L’un et l’autre ont en effet été séduits par le charme un tantinet vénéneux de ce journaliste d’avant-guerre, qui fut tour à tour correspondant de presse et grand reporter au pays des Soviets, aux Etats-Unis, en Chine et au Japon, tour à tour combattant de la guerre de 14, de la guerre de Finlande (où il est sévèrement blessé), et du Front de l’Est au sein de la LVF, tour à tour adepte du surréalisme, pro-communiste, puis Croix-de-feu, puis PPF avec Doriot, puis pro-allemand jusqu’à rejoindre la collaboration la plus dure. Ce Jean Fontenoy a de quoi donner le tournis !

 

Quand Phlippe Vilgier commença sa quête de renseignements sur Fontenoy, c’était bien avant Internet qui, certes, facilite les choses. Tout le monde était sceptique tant sur sa capacité à trouver de la matière sur l’aventurier-journaliste, qu’à intéresser un lectorat significatif. Se procurer ses livres, déjà, relevait de la chasse au trésor ! Même dans « l’extrême droite » la plus décomplexée et la plus érudite, personne ne connaissait vraiment Fontenoy, qui n’était plus guère qu’un nom, que l’on retrouvait parfois sous la plume de Saint-Loup ou Mabire, mais aussi sous celle de Brice Parrain ou de Jean Cocteau..

Dans les années quatre-vingt, Philippe Vilgier pouvait encore interroger quelques témoins, quelques personnes qui avaient croisé la route de Fontenoy : François Brigneau, Henry Coston, Saint-Loup, Pierre Monnier, Lucien Combelle…

 

Le Fontenoy de Guégan, lui, est largement basé sur les archives familiales. Il se veut une biographie romancée. Et l’écrivain tente de tracer le portrait psychologique d’un aventurier « pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées ». Le travail de Vilgier, pour sa part, est plus historique, plus universitaire, et il s’attache davantage à comprendre l’évolution des idées de Fontenoy, en particulier ce basculement de l’extrême gauche à l’extrême droite, qui est toujours un objet de fascination pour les historiens contemporains (le basculement inverse étant beaucoup plus rare et le plus souvent dicté par des considérations de pure survie, comme dans l’Europe de l’Est d’après-guerre).

 

De ce point de vue, les deux ouvrages ne se font pas concurrence. Quant aux cahiers iconographiques de l’un et l’autre livres, ils sont différents, ce qui est particulièrement étonnant, compte tenu de la rareté des documents photographiques concernant ce personnage.

Fontenoy nous a laissé quelques livres, une décevante Ecole du renégat (Gallimard 1936), pamphlet qui manque de souffle, mais aussi un Shangaï secret sur son expérience de journaliste en terre chinoise à l’époque des combats entre nationalistes et communistes, qui est un pur chef d’œuvre, bien meilleur, par exemple que L’Espoir de Malraux, à mon goût.

Parlant le chinois, le russe, l’anglais, Fontenoy fut également un excellent traducteur. C’est toujours son travail qui est utilisé dans les traductions de Tolstoï parues à la Pléïade.

Il fut aussi l’époux d’une héroïne de la conquête du ciel, l’aviatrice Madeleine Charnaux.

Docteur d’Etat en science politique, spécialiste en histoire du syndicalisme et en droit social, on ne voit pas exactement pourquoi Philippe Vilgier, après quelques ouvrages historiques, a ainsi jeté son dévolu sur cet aventurier, homme d’action, extrémiste, et aussi alcoolique et opiomane. Mais les excès mêmes de Fontenoy, ces engagements sans limites, en ces temps de dictature absolue du politiquement correct ont sans doute fasciné Vilgier, comme ils ont fasciné Gérard Guégan, et comme ils pourraient bien intéresser toute une génération de plus jeunes gens, fatigués par les portraits christiques et trop vénérés d’un Che Guevara, par exemple, qui n’était au fond qu’une brute stalinienne, transfigurée par sa mort.

 

Francis Bergeron

 

Philippe Vilgier, Jean Fontenoy aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, août 2012, 364 p., 25 €.

Gérard Guégan, Fontenoy ne reviendra plus, Prix Renaudot Essai 2011, Stock, « La bleue », février 2011, 496 p., 24,35 €.

1 commentaire

Bel article ! J’ai adoré le Guégan, pas encore lu le Vilgier.

Je me permets juste de signaler que Brice Parain : un seul R.
Et puis ceci. Vous écrivez : « sous la plume de Saint-Loup ou Mabire », au lieu de : plume de Saint-Loup ou de Mabire.

Pour le reste, chef-d’œuvre sans son trait d’union, Pléiade avec un tréma, ce sont des vétilles. Veuillez pardonnez ma cuistrerie, et effacez ce commentaire après l’avoir lu…

Votre Saint-Loup et votre Léon Daudet (éditions Pardès) font partie des livres que je rouvre régulièrement et que je relis. Merci.