Côtes et Coteries : Le choc et le chic

L’onde de choc provoquée par le triomphe de Bécassine à l’Élysée – ou Comment je faisais des crêpes le mercredi – entraîna deux événements qui ravirent les sans-cœur. 

D’abord, le visage angélique et formidablement faux-cul d’
Angela Merkel pendant le sommet de l’Otan du Pays de Galles, alors que, seul à sa table, François Hollande touchait le fond.Le « livre » de Madame Trierweiller fut imprimé en Allemagne… Quant à Carla Bruni, dont le Raymond fut écouté jour et nuit une année durant, elle a de la mémoire. Elle sait que seul le silence est sûr, sauf lorsque ceux qui se mettent à table y sont invités. 

Seconde conséquence amusante de « l’affaire Trierweiller » : la meilleure critique littéraire de l’automne fut celle que rédigea pour Bibliobs, l’écrivain-journaliste Jacques Drillon (il publie ces jours-ci Les Fausses dents de Berlusconi (Grasset). Drillon a lu en professionnel Merci pour ce moment (tirage total 510 000 ex, en tête du « top 20 » Ipsos/Livres-Hebdo, devant Amélie Nothomb et Le Royaume d’Emmanuel Carrère. Pince-sans-rire, notre confrère rend compte du fond et de la forme. A se tordre, et les occasions de rire sont assez rares. 

A la foire de Francfort
, Fleur Pellerin arpentera les stands de la maison-France. Ses habits de ministre de la Culture, qui paraient si bien Jack Lang et Frédéric Mitterrand lui iront-t-il? La France acceptera-t-elle l’invitation de l’Allemagne, qui veut faire d’elle «L’ Invitée d’Honneur » de Francfort en 2017, initiative soutenue par le Syndicat National de l’Edition  ? Avant de le savoir, allons au Grand-Palais admirer les trente-six vues du Mont Fuji et la Grande Vague de l’immense Hokusai (1760-1849), l’artiste japonais cher aux écrivains français. Estampes, dessins, peintures inédites : 500 pièces exceptionnelles. 
 

Le témoignage des « people » et de ceux qui ont partagé leur salle bains supplante notre tradition éditoriale. Ce n’est une surprise pour personne, et surtout pas pour les éditeurs, qui voudraient bien, de temps en temps, gagner un peu d’argent. Quant aux lecteurs, il leur suffit de se rendre dans n’importe quel salon du livre pour voir s’allonger les files d’attente devant les « vedettes » de l’écran ou d’ailleurs. 


C’est pourquoi l’on peut considérer le Prix Freustié, décerné le 14 octobre sous l’égide de la Fondation de France, comme l’un des ultimes témoignages de ce que la France fait de mieux : sa littérature. Médecin, critique littéraire, conseiller chez Denoël, Jean Freustié (1914-1983), fut un grand romancier. Avec, on rougit de le rappeler, du style, un imaginaire, des personnages.Une mythologie à l’œuvre dans chacun de ses livres (Ne délivrer que sur ordonnance (1952), La Passerelle (Prix Nimier, 1963), Le Droit d’aînesse (1968), Proche est la mer (1976), L’héritage du Vent (1979), entre autres). Ecrivain désabusé, d’une redoutable lucidité, Freustié est plus moderne que jamais. A l’occasion du centenaire de sa naissance, les éditions de la Table Ronde réédite Isabelle ou l’arrière-saison (Prix Renaudot 1970).

 

CHRISTIANE OU L’ARRIÈRE-SAISON

 

Lisant hier le beau récit de J.B. Pontalis, En marge des nuits (Gallimard), et m’attardant sur le chapitre intitulé « Comptabilité funèbre », je songeais, le cœur serré, à la mort de Christiane Teurlay, veuve de Jean Freustié. Auteur de nombreux romans et de nouvelles, devenus des classiques, Jean Freustié, de son vrai nom Jean-Pierre Teurlay, fut chroniqueur au Nouvel Observateur et proche de Jacques Brenner et de Bernard Frank (voir Le droit d’aînesse, narration du triangle que constituèrent dans la vie Freustié, Bernard Frank et sa compagne, Christiane). Soufflant celle-ci à Bernard Frank, Freustié l’épousa. Il mourut en 1983, emporté par un cancer, mort dont sa veuve ne se remit jamais. Quoique brisée, anéantie, Christiane Teurlay trouva le courage d’accomplir trois exploits. Elle écrivit d’abord un bon livre, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Pierre (Grasset) est l’un des plus beaux récits qui soient sur la douleur d’aimer. Puis, elle fonda le Prix Freustié, auquel elle donna son énergie, toute sa fortune. Sa vie.


Couronnant une œuvre en prose et remis chaque année, au printemps d’abord puis à l’automne, le Prix Freustié a distingué – entre autres, et par ordre alphabétique – François Cérésa, Charles Dantzig, Philippe Djian, Jérôme Garcin, Angelo Rinaldi, Anne Wiazemski...


Le  Prix Freustié prospérant comme elle l’avait souhaité grâce à la Fondation de France, Christiane Teurlay mobilisa en 2008 le peu de forces qui lui restaient afin de faire rééditer l’œuvre de son mari. Quand tout fut accompli, qu’elle fut certaine de la survie littéraire de Freustié, Christiane décida que vivre n’avait plus d’intérêt. Elle cessa de s’alimenter. Elle est morte le 26 février, au moment où les jurés du Freustié se réunissent chaque année.


Une petite personne qui ne la ramena jamais. Une grande dame des lettres.

Tu es là, Christiane.

 

Annick Geille

 

Article publié en 2010 dans Le Magazine des livres.


> Lire un extrait d’Isabelle ou l’arrière-saisonde Jean Freustié

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