"Les Collines de l'Est" nouvelles de Jean Freustié

Pour les vingt-cinq ans de la mort de Jean Freustié, le Dilettante réédite Les Collines de l’Est, recueil de neuf nouvelles paru pour le première fois en 1967.

L’expérience de l’auteur en tant que médecin, embarqué dans le fracas de la Deuxième Guerre Mondiale à ses débuts, imprègne ces neuf tranches de vies désenchantées. Des fragments autobiographiques, pour la plupart, qui portent en eux le sourire d’un homme que la vie a déçu, et qui tente de se réconcilier avec ce qui reste, notamment sa conscience, en cherchant quelques grâces dans le dérisoire et le fugitif.

Du quotidien d’un jeune interne en médecine en temps de guerre à celui d’un généraliste à Paris, en proie à des faits aussi divers que banals, Jean Freustié se penche sur cette mort qu’il craint et ne parvient pas à apprivoiser.

Elle lui semble si lointaine - étrangère - cette souffrance qu’il doit gérer au quotidien et qui évolue dans une autre dimension que la sienne, celle de l’autre ; cette solitude intrinsèque, avec laquelle chacun devra composer au moment fatal ; lieu de toutes les lâchetés, de toutes les tromperies possibles. A la fois refuge de celui qui veut fuir et terreur absolue face au mal.

« Je me suis toujours senti un imposteur. Comme médecin, comme mari, comme amant, comme ami et dans toutes mes activités. J’ai été un enfant imposteur, un fils imposteur. Rien de grave. Comme tout le monde, j’ai toujours eu quelque chose à cacher. »

Ici tout semble ne tenir qu’à un fil. Les cas sont dépeints avec cette distance pour ainsi dire caractéristique du médecin : un détachement de rigueur, quasi-professionnel, qui n’explore pas les corps mais les âmes, l’espace d’une entrevue.

Les mots compriment chaque débordement éventuel en balayant la moindre trace de lyrisme. Tout est pesé, précis, si bien que certaines pages regorgent d’aphorismes que l’on pourrait qualifier d’accidentels. Pour l’auteur, tout est question d’imposture, certains le vivent moins bien que d’autres, voilà tout ; d’ailleurs l’admettre est en soi une nouvelle forme d’imposture qui viserait à nous donner quelque crédit en matière de pureté. 

« Aussi bête que cela paraisse, je comprenais enfin pourquoi on tue : tout simplement pour obtenir cette passivité définitive qui vous permet d’agir librement, de boire un verre de mirabelle par exemple. »
 
Le ton est à la fois pudique est franc – d’évidence Freustié ne cherche pas le coup d’éclat ou la chute renversante, mais un recul assagit, voire amusé, sur les choses et les événements, aussi sordides soient-ils. La laideur est tempérée çà et là par un humour grinçant mais retenu, quelque chose de l’ordre de la noblesse, peut-être, qui donne à ces portraits une sincérité bouleversante au moment même où la tension se relâche. Si les sujets sont graves, on ne s’effondre jamais, on sourit tout au plus, ou on boit un verre, discrètement.

Derrière cette apparente absence de compassion, la fragilité éclate dans les détails, là où on ne l’attend plus, rendant à la beauté une dimension scandaleuse, hérétique, alors que tout crève autour et que l’horreur est permanente. Le drame ne se joue pas dans la flaque de sang, mais au détour d’une phrase anodine ou dans le souvenir d’une bouche aux lèvres merveilleusement ourlées. On est touché, profondément, sans s’en rendre compte.
 
Arnault Destal

Jean Freustié, Les Collines de l'Est, Le Dilettante, mars 2008, 224 pages, 17 euros
Aucun commentaire pour ce contenu.