Giono : Colline traduit en occitan

Fais dire des messes pour moi parce que, là haut, il faudra que je m’explique à cause de la source. Marcel Pagnol

Lui qui – avec quelque condescendance mais surtout une mauvaise foi flagrante, il faut le dire – ne s’est jamais senti gêné aux entournures d’afficher un si grand mépris envers le provençal – pourtant son occitan natal, au fond –, Giono doit sans doute aujourd’hui se tourner et se retourner dans sa tombe à l'annonce de l'actuelle parution de la traduction de Colline en cette même langue !
Il est bien connu qu’il aimait très (trop !) bêtement dire et faire valoir qu'il la reconnaîtrait telle, à part entière, le jour où on lui présenterait un traité de mathématiques entièrement rédigé en provençal...
Or, il faut savoir, il est vrai - j’ouvre ici une parenthèse – que hormis les notables, les historiens et les littérateurs, les provençaux pur jus eux-mêmes n'ont jamais su – sauf exceptions confirmant justement la règle – écrire en leur propre langue ; ce qui, depuis le temps qu'elle existe en ses innombrables versions et singulières variantes territoriales, ne l'empêche nullement d'en être une, au caractère bien trempé, bel et bien différenciée, autant poétique et imagée, sinon plus, que ne l’est peut-être en tout et pour tout le français !
Pour le moins dénigrée par Giono donc, tandis qu'en ses premières œuvres, en sa Trilogie de Pan tout entière, le provençal n’est en rien étranger, bien au contraire présent à la racine de l'originalité de fond de ce magistral triptyque, et jusqu’à celle, même, du style ! C'est dire à quel degré de profondeur de sa psyché l’écrivain manosquin en a été très tôt imprégné et, par naturelle voie de conséquence, ces romans-là, du début, tout particulièrement irrigués à cœur !
Sujet interne hypersensible que – à ma connaissance en tout cas –, préférant toujours se défausser, Giono a bien pris garde de ne jamais aborder afin de ne pas avoir à expliciter les raisons de tels riches et foisonnants apports alluviaux purement hauts provençaux : Les chiens aboient la caravane passe n’est-ce pas, en quelque sorte.
Aujourd'hui, c'est Colline qui est traduit en graphie classique ; ce qui, on en conviendra, exige bien plus de sensibilité et de subtilité d’esprit, bien plus de ressources linguistiques et autres aussi, que – CQFD ! – celles requises pour la transcription pure et dure d'un froid et inexpressif traité de mathématiques !

Pourquoi donc, de la part de Giono, une telle (soi-disant) aversion, ou allergie, envers le provençal dont il s'est cependant délecté, tout au moins de la plume ?
Je crois que passant pour cette raison sans vergogne à la trappe les innombrables troubadours provençaux, Raimbaut de Vaqueiras en tête, passant par-dessus toute connaissance, toute pratique et expérience de la langue acquises par lui à Manosque même, il fut irrité au plus haut point par l'esprit et l’organisation académique du Félibrige, et peut-être encore plus par le folklore de bas étage qui parfois, hélas, l'accompagne encore : ce qu’il appelait, sarcastique, la Provence de tutu-panpan. Mais, à cause de cela, tout renier d'un coup en bloc – c’est-à-dire des siècles d'Histoire et d'histoires ! - c'est bien en le cas jeter par dessus bord le bébé avec l'eau du bain !
Mais, en fait, que nenni en plein, puisque, d'un autre côté, écrire en utilisant cette langue en ses subtilités d'esprit comme il l'a véritablement fait de science infuse, c'est là, n’empêche, sans l’avoir voulu, le plus bel hommage que Giono pouvait très personnellement lui rendre : in textum ipsum par un on ne peut plus direct et valorisant retour d’ascenseur !
Traduire aujourd’hui Giono en occitan c'est donc faire – sans le vouloir non plus - la nique, sur propre terrain, celui de la littérature, à celui qui, au sujet du provençal, se contredisait lui-même en ses propres livres, puisque y maniant en fait cette langue avec tout l’art consommé du grand écrivain qu’il était et qu’il restera à jamais.
Ma main au feu que tout français hexagonal, ou autre lecteur étranger, sera bien empêché – devant l’enracinement provençal d'innombrables tournures d'esprit, d’expressions courantes ou pas – de lire le premier Giono aussi librement que n’importe quel autre écrivain français. Mon ami Satoru Yamamoto qui traduit régulièrement ses œuvres en japonais pourrait, à l’appui de ce que j’écris, en témoigner ici personnellement en toute connaissance de cause.

PS : je viens d’avoir quelques vifs échanges à propos de la publication de cette traduction de Giono en occitan avec deux (pourtant) fervents amoureux de cette langue et admirateurs de Giono en même temps.
À mon grand étonnement, l’un m’écrit Qu’en penser ?, tandis que la seconde me soutient qu’on ne doit pas traduire un écrivain français en provençal au motif que tout le monde peut le lire en français !
J’en suis tombé de haut, doublement : à la fois des nues et de la lune ; leur répondant tour à tour que - pour faire court ici – parlant couramment le parler de Forcalquier, ma langue maternelle, je suis, moi, très curieux et très intéressé de lire Giono  traduit ainsi – pour la première fois je crois – en occitan.

Qu’en dirait Giono lui-même, finalement ?
En tout cas, sa fille Sylvie n'y a pas vu d'inconvénient puisque, relevant des droits d’auteur, ce genre de publication ne peut se faire sans avoir préalablement passé un contrat avec l’écrivain lui-même ou, à défaut, comme c’est le cas, avec ses ayants-droits.

André Lombard

Jean Giono, Colline, traduction en occitan (languedocien) de Jacme Fijac, PNRG éditions, juillet 2021, 148 p.-, 14,95 €
Bois gravés de G.Tcherkessof (édition de 1941)
 
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