Revue Giono. Hors-série Eugène Martel

Engageante surprise au courrier avant-hier que ce hors-série de belle tenue introduit par la douzaine de pages d’une rigoureuse biographie de l’artiste, sobre, bien menée d’un bout à l’autre comme, à mon sens, il n’en existait pas encore.
J’écris de l’artiste car, effectivement, malgré le sous-titre L’amitié entre deux artistes, c’est d’un seul qu’il s’agit principalement puisque seules les lettres du peintre ont pu être retranscrites et données à lire ici : l’autre pan de cette riche, dense et foisonnante correspondance, ayant, hélas, été irrémédiablement perdu dans une inondation en les années 50.

C’est grâce à la récente  acquisition par l’Association des Amis de Giono d’un conséquent lot de diverses lettres reçues par l’écrivain – plus de 3.000 au total – que vient aujourd’hui harmonieusement s’étoffer et même, à vrai dire, parfaitement se compléter celui concernant Martel jusque-là sauvegardé dans les archives manosquines du Paraïs.
Apport majeur, inédit et providentiel, autorisant dès lors amplement la présente publication de l’ensemble.

Toutes ces lettres, Giono les avait-il donc données, prêtées, ou peut-être même vendues, peut-on se demander. D’où sortent-elles donc tout d’un coup, de quel chapeau ?
Il semblerait, selon toute vraisemblance, qu’il les avait, en toute confiance, confiées en dépôt aux bons soins d’un couple d’amis se révélant finalement si peu soucieux et respectueux, l’un comme l’autre, de la valeur patrimoniale de tels documents qu’ils les abandonnèrent sur place, sans plus d’histoires et sans vergogne, lors d’un de leurs déménagements. Mais, en dernier lieu, présentement, pas perdus pour tout le monde, bien au contraire et bienheureusement !
 
Consciencieusement rassemblées, commentées et annotées aujourd’hui par Michèle Ducheny, l’auteur qualifié de Giono et les peintres, et Élisabeth Juan-Mazel, arrière petite nièce d’Eugène, cette soixantaine de missives assorties de quelques autres fort instructives – et souvent d’une belle élévation d’esprit – adressées à Roger Clément, Maxime Girieud et Serge Fiorio en particulier, reproduisent ainsi à mesure et en direct, on ne peut donc plus fidèlement, la courbe sensible de cette amitié que Martel dessine à mesure, un feuillet après l’autre, depuis la première prise de contact en date du 10 juillet 1930 jusqu’à la dernière lettre connue et datée, celle-là, du 2 février 1946.
Courbe sans cesse ascendante dont l’apogée se situe à l’entrée de la guerre pour chuter, brutalement ébréchée par des prises de positions divergentes face aux événements : Martel se rangeant du côté de la Résistance, tandis que, pris entre deux feux, trop ambigu sans doute, Giono connaîtra l’opprobre de ses compatriotes, et un temps la prison, avant que de se voir inscrit, de surcroît, sur la fameuse liste noire du Comité National des écrivains à la Libération.

Comme m’en fait part Élisabeth Juan-Mazel, l’une des deux éditrices : Il est bien difficile d'écrire sur Martel... et c'est aussi pour cela que j'ai été bien contente que l'on puisse lui donner la parole.
Ces lettres parlant, il est vrai, si bien d’elles-mêmes, il n’est quand même peut-être pas vain de donner son point de vue à partir de ce que leur lecture nous inspire : Martel s’y révélant, d’entrée, être un fort perspicace et clairvoyant critique littéraire, connaissant bien, il est vrai, autant les paysages que les personnages, le monde tout entier du Giono d’avant-guerre, pour y avoir puisé de son côté de source sûre, par nature, en enfant du pays, maints sujets de son art.
Aussi, et cela n’engageant que moi sur le chemin toujours périlleux de l’interprétation personnelle, suis d’avis que ce que Martel cherchait si obstinément et obscurément à découvrir en lui-même, à travers sa peinture en particulier, il crut en reconnaître la révélation soudaine, subite, en un Giono idéalisé, pour ne pas dire fantasmé en pleine lumière aussitôt que découvert ; le surestimant malgré lui jusqu’à en faire l’incarnation d’une moderne figure messianique qui, malgré l’étendue, les profondeurs, la profusion et le degré de son génie littéraire, ne lui correspondant pourtant pas ; les plans se situant, bien entendu, à des niveaux très différents.
Tout cela dicté, je crois, par un pur et exigeant besoin en lui de satisfaire, sans pouvoir la nommer consciemment, une forme jusque-là entravée, inassouvie, d’exaltation mystique.
On comprend dès lors mieux ô combien Martel tomba de haut, du haut de son idole en fait, au tout début de la guerre ; désormais réduite et distendue, la correspondance restera toutefois sagement amicale, sans éclats.

Un portfolio central, de 12 pages, rassemble un choix de photos en noir et blanc, et les reproductions couleurs d’un bel échantillonnage d’œuvres majeures, dessins et huiles, des principales époques.

André Lombard

Articles connexes :

Le premier Giono a bien plus qu'un accent, et alors ?
Le portrait de l'oncle Fortuné
Eugène Martel. Les Pinceaux brisés
Eugène Martel et l'or du temps intérieur
Un autre poète de la famille

Michèle Ducheny et Élisabeth Juan-Mazel, Jean Giono et Eugène Martel, 21 illustrations noir/blanc et couleurs, Association des Amis de Jean Giono, juillet 2022, 20€
amisjeangiono@orange.fr ou 04 90 87 73 03

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.