Papiers ! Soulages est au Musée Picasso d’Antibes

Sur les remparts d’Antibes, aussi, madame promène son cul, et moi aussi, tout comme Jacques Brel, je trouve que madame exagère, du plus loin qu’elle puisse venir, Varsovie alors, voilà qu’elle m’entraîne sous une pluie printanière à passer devant la dernière demeure de Nicolas de Staël pour aboutir à la grande entrée du musée Picasso, demeure fondamentale que l’on doit à Dor de la Souchère, personnage essentiel qui réhabilita le château Grimaldi pour le faire entrer dans l’histoire sans qui, jamais, cette bâtisse n’aurait survécu à l’incurie des hommes ; pensée amicale à Dor, donc, en montant la rampe et clin d’œil complice à Miro dont une sculpture imposante veille à la dernière volée de marches que l’on grimpe quatre à quatre, histoire de rappeler, ici aussi, car de nos jours l’absence de mémoire est un crime qu’il faut punir de la peine de mort, rappeler donc, oui, et toujours le faire, combien Picasso doit à Miro, l’éternelle ombre qui planera sur l’aura du « grand maître » car sans Miro l’inspiration de Picasso n’aurait pas été la même…

Parapluie déposé mais Panama conservé, l’humidité canaille pique encore un peu le front, nous entrons dans ce charmant musée aux proportions humbles, donc humaines ; ainsi point de grands formats accrochés aux murs mais des papiers aux dimensions modestes, ce qui les rend plus attachants, et nous offre la possibilité de les approcher, de les étudier tranquillement. L’accrochage est habillement agencé, espace, calme et volupté dans l’enfilement des pièces ; seul reproche à quelques œuvres tapies derrière des glaces non traitées contre le jaillissement des reflets, ce qui, compte-tenu des grandes profondeurs obscures, rend, pour deux d’entre elles, totalement impossible leur contemplation, même à se tordre le cou dans des poses de biais qui pourraient tenter le gardien à intervenir, l’on ne fait pas le pitre dans un musée…

 

Exposition d’autant plus importante qu’elle embrasse l’origine, cet avant aujourd’hui que la plupart du temps l’on nous force à oublier, comme si tout était né de la dernière pluie. Ainsi, Pierre Soulages n’a-t-il pas peint uniquement ces fameux grands formats noirs, ces outre-noirs devenus célèbres et pas seulement par les sommes astronomiques qu’ils ont atteint dernièrement. Le jeu des contrastes est né d’un paysage de neige observé, enfant, dans la région de Rodez. Oui, Soulages peint le noir pour recouvrer l’éclatante blancheur, en miroir d’un contraire ; il peint le noir en opposition à la feuille blanche, pour, justement, en faire ressortir toute la fraîcheur, l’éclatante brillance…

Donc, au début de cette histoire, il y a la peinture sur papier, et les extraordinaires brous de noix : « C’est avec les brous de noix de 1947 que j’ai pu me rassembler et obéir à une sorte d’impératif intérieur. La vérité est que je me suis senti contraint par l’huile. Je l’avais pratiquée avant-guerre et je savais ce qu’elle imposait comme contraintes. Par impatience, un jour, dans un mouvement d’humeur, muni de brou et de pinceaux de peintre en bâtiment, je me suis jeté sur le papier. »
Initiative salutaire qui allait s’avérer déterminante pour la suite ; d’ailleurs, dès 1948 les premières œuvres sont exposées à Munich : succès foudroyant à tel point que de très nombreux artistes allemands vont faire le voyage à Paris pour visiter Soulages dans son atelier (où l’on buvait le meilleur café, se souvient Karl Otto Götz).

Cinq fusains ouvrent l’exposition d’Antibes, avec une encre et une gouache (1946), suivis des quinze premiers brous de noix (1947-48). Alors qu’à cette période le travail sur le noir & blanc était partagé par certains peintres, personne, ni en Europe ni outre-Atlantique ne peignait rien de semblable ; ce qui explique le succès de l’exposition en Allemagne.
Viendront ensuite l’encre fluide (1960), la gouache, l’encre de Chine… Quelques détours par les bleus et les ocres bruns, puis droite ligne vers les noirs. Mais toujours dans la précision du geste précis et rapide (le repentir est interdit sur le papier) et cette quête de la lumière. Les papiers de Soulages sont lumineux, même les plus sombres. Par transparence ou reflet, elle apparait dispersée, étale, énigmatique mais d’une telle présence qu’elle affirme son éternel secret, ce petit quelque chose qui procure l’émotion.

Cette rétrospective qui montre au public quatre-vingt-dix-huit œuvres (sur les plus de huit cents peintes depuis 1946, dont les deux tiers demeurent toujours dans l’ombre de l’atelier) renferme des trésors connus depuis seulement 2014 et la grande donation faite au musée de Rodez, partenaire de cette exposition. Ces « peintures sur papier » qui sont trop souvent rangées par les grands musées dans les départements Dessins, comme si « papier » impliquait « dessin » et « toile », « peinture », ce qui – à juste titre – énerve Soulages car à ce compte il n’y aurait, jusqu’au XXe siècle, plus aucune peinture chinoise ou japonaise (sic). Il n’a d’ailleurs jamais fait de distinction entre toile et papier depuis qu’il est entré en peinture… nonobstant, en soixante ans de pratique, il y a bien une différence qui s’est construite entre ces deux mediums : les supports permettant d’identifier fortement l’un et l’autre sans jamais se confondre.

Ce très beau catalogue – qui reprend les papiers dans l’ordre de l’exposition – avec de remarquables reproductions (ce qui n’est pas toujours le cas : j’ai toujours en mémoire le massacre des images des tableaux de Soutine dans le minable catalogue qui accompagna, il y a quelques années, l’extraordinaire exposition de l'Orangerie…) s’accompagne de nombreux témoignages, d’une intéressante étude sur « l’Allemagne & Soulages (1948-60) » et d’un (toujours) très beau texte de Pierre Encrevé, le spécialiste de l’œuvre.
Une exposition qui se tient jusqu’au 26 juin 2016, à ne surtout pas manquer si vous êtes dans la région PACA ; sinon ce livre-là s’impose dans votre bibliothèque…

François Xavier

Jean-Louis Andral (sous la direction de.), Soulages Papiers, Hazan, avril 2016, 160 p. – 25,00 €

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