Jean-Marc Parisis, La Mort de Jean-Marc Roberts : insolite et attachant

Étrange livre. Inclassable. Naviguant entre célébration et témoignage, portrait – voire, en creux, autoportrait – et souvenirs. Sans compter le tableau, parfois  sans complaisance, d’un microcosme, celui  de l’édition et des littérateurs, et, finalement, d’une époque. Un essai, mais un « tombeau littéraire», aussi, dans le sens ancien d’éloge funèbre, genre qui florissait chez nous à la Renaissance.  

 

La mort de Jean-Marc Roberts, écrivain, romancier, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, de Samedi, dimanche et fêtes (Le Seuil, 1972) à Deux vies valent mieux qu’une (Flammarion, 2013), éditeur au Seuil, au Mercure de France, chez Fayard puis directeur chez  Stock, en est le point de départ. Roberts a été emporté par un cancer le 25 mars dernier, à soixante-deux ans. Explicite dans sa sobriété, le titre rappelle l’événement.

 

L’essai de Jean-Marc Parisis offre une série de variations sur et autour de son ami et éditeur. Nul souci de chronologie, pas de construction rigoureuse, mais des notations dont l’une entraîne l’autre et qui débouchent sur des réflexions générales. Ainsi, de l’annonce de la mort aux funérailles, un retour kaléidoscopique, par petites touches, confidences mesurées, anecdotes, sur des années de complicité. La tentative pour restituer au plus près et tenter de comprendre un homme et son caractère. Ce qui rendait unique cet « éditeur fou d’édition comme les mogols d’Hollywood étaient fous de cinéma. ». Des bribes d’éléments biographiques. Une exploration, mais succincte, de l’œuvre de l’écrivain. Occasion d’en extraire des phrases éclairantes, de mesurer sa cohérence, sa concordance avec la vie de l’auteur.

 

Au-delà, Parisis se livre à des considérations sur la littérature, l’édition, le cinéma, mêlant avec subtilité ses propres appréciations à celles qu’il a retenues de son ami. Ce duo virtuel où les voix se confondent et s’entremêlent constitue l’un des charmes de ce petit livre. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Comment ne pas songer à Montaigne ? La complicité revendiquée (« Allo, Jean-Marc ? C’est Jean-Marc. ») ne verse jamais dans l’adulation. Lucide, l’essayiste ne cèle rien des failles du caractère, des ambiguïtés du personnage. Des rapports parfois complexes de l’éditeur avec ses écrivains. De son usage délibéré du mensonge comme stratégie. Mais la pudeur bride toujours sa plume. Il suggère plus qu’il n’affirme, et de cela aussi il faut lui savoir gré.

 

Il lui arrive pourtant de ne pas ménager ses critiques et ses coups de griffe peuvent être meurtriers. Marcela Iacub, l’auteur de Belle et Bête, pourtant éditée chez Stock en février 2013, en fait les frais. Comme Christine Angot, mais avec une moindre férocité. Quelques autres aussi, qui, à ses yeux, avilissent la littérature. Il ne ménage ses sarcasmes ni aux Prix, ni aux rentrées littéraires, ces parodies aux relents d’arrière-cuisine : « Une spécialité française, labellisée. Un fromage parfois. Souvent une boucherie, où l’on pend la viande d’auteurs avant équarrissage et pilonnage. »

 

De farouches aversions, donc, mais des admirations ferventes. Pasolini, « le plus grand écrivain italien », Julien Gracq, Guy Debord. Et même Richard Millet, à qui son court Eloge littéraire d’Anders Breivik avait valu un lynchage médiatique et qui se voit ici justement réhabilité.

 

Qu’est-ce donc qui fait que ce livre, en apparence écrit sans plan préconçu, au fil de la plume (mais quelle plume, alerte, incisive !), reste dans la mémoire une fois achevée la dernière phrase ? C’est que, d’un bout à l’autre, il est sous-tendu par l’émotion. Qu’il va beaucoup plus loin qu’il n’y paraît. Que cette ode pudique à l’amitié propose de notre temps et de l’évolution de notre civilisation une vision lucide. Sans pathos. Sans grandiloquence. Qu’il suggère aussi qu’en dépit des vicissitudes, « tout est possible ». Tel était le credo de Jean-Marc Roberts.

 

Jacques Aboucaya

 

Jean-Marc Parisis, La Mort de Jean-Marc Roberts. La Table Ronde, octobre 2013, 124 p., 14 €

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