La vérité du monde selon Jean-Marie Rouart

La vérité n’est elle-pas plurielle, ne comporte-t-elle pas une once de mystère, un voile de pudeur déchirée sur l’autel des petites vertus politiques et des arrangements entre ennemis sous l’œil complice de la nécessité, cette loi d’airain qui nous gouverne, quoi qu’on puisse en penser ?
Alors demeure, amis lecteurs, ce doux poison romanesque que les poètes et les hommes de plumes nous offrent, cette littérature enchâssée dans une belle couverture qui réchauffe un peu nos sens déboussolés par tant de désinvolture affichée dans la conduite du destin des Hommes.

Et quel homme mieux que le résistant Rouart pour porter l’estocade ?
L’académicien qui redore le blason de l’Institut de France en osant dire haut ce qui n’est pas acceptable, en osant braver la Justice aveugle et sourde dans l’affaire Omar Raddad – et se voir condamner pour diffamation en 2002 quand on sait depuis combien il était dans le vrai –, ou épingler au fronton de la couardise des courtisans qui l’avaient accueilli, cet ancien président de la République qui n’avait publié qu’un seul roman – et quel navet – désormais immortel au fauteuil numéro seize, celui de Léopold Sédar Senghor – un comble ! –, piètre auteur auquel notre défenseur répondit à son discours de réception sous la coupole en rappelant les mots du critique Matignon, du Figaro, qui comparait VGE à "un Maupassant qui aurait fait la connaissance de la comtesse de Ségur, ou à un Grand Meaulnes qui aurait croisé Bécassine".

Ici aussi il est question d’un fat, et pas des moindres, le Président Marchandeau qui sent que le mandat de René Coty arrive à son terme et qui se verrait bien traverser la Seine, délaissant l’Assemblée nationale pour endosser la suprême fonction. Mais c’est sans compter sur les évènements algériens, litote pour évoquer la guerre civile qui fait rage et les généraux qui évoquent à demi-mots un possible coup d’Etat. Il n’en faut pas plus pour rappeler le Général à Matignon et soudain les espoirs de Marchandeau battent de l’aile. Surtout qu’il a tendance à s’adonner à des plaisirs interdits avec de jeunes adolescentes et sa maîtresse, la fameuse comtesse Berdaiev, artiste peintre et intrigante russe qui se morfond de ne pouvoir rentrer et joue en attendant les poules de luxe pour survivre…
La DST va donc se régaler à monter une de ces affaires dont le monde politique a le secret.

Reprenant le thème des fameux Ballets roses qui coutèrent la carrière politique d’André Le Troquer, Jean-Marie Rouart tisse une délicieuse histoire sur le destin, l’appartenance culturelle, l’altérité, l’exil et les amours impossibles, peignant une famille d’acteurs dirigée de mains de maître sur le décor réel d’une société en déconstruction. La IVe République est à l’agonie poussant artistes et politiques à s’oublier dans l’idée que Dieu pourrait se (re)trouver dans l’extase, cette communion des corps et des âmes pour tenter de basculer derrière le tain de notre miroir personnel. Puiser au cœur du monde de quoi nourrir notre vie intérieure toujours en déclin, toujours oubliée sous prétexte que la vraie vie accapare l’agenda.

Porté par une langue sensuelle et érudite, précise au diapason du tempo narratif, ce roman exotique nous renvoie aux joies slaves qui s’enflamment aussi vite qu’elles s’éteignent, brasiers des lamentations ou banquise des éruptions sexuelles, passions des contraires, vertiges de l’instant pour survivre au cataclysme de l’Histoire qui n’a que faire des brindilles, même si ces Hommes combatifs tentent vaille que vaille se s’accrocher, la terre tourne et tourne et toujours le mécanisme s’enclenche, avance la roue du temps, dent après dent, mâchoire d’acier sur la terre meurtrie, sans jamais se retourner…
S’oublier alors dans le tourbillon des plaisirs, s’oublier, marcher sur l’eau.

François Xavier

Jean-Marie Rouart, La vérité sur la comtesse Berdaiev, Gallimard, mars 2018, 206 p. – 17,50 €

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