Je suis un monstre, le roman des anti héros par Jean Meckert
« […] Il est vrai […] que c’est l’âge mental des fanatiques, quels qu’ils soient. L’âge des héros !… »
Un roman sartrien ?
La question essentielle de ce roman est celle de l’engagement, comme dans les Chemins de la Liberté qui assoient le succès littéraire de Sartre dès 1945, dans le corps du sujet, et celle, réciproque, des salauds :
« Il faut s’engager Narcisse ! Et tout le reste n’est qu’une branlette informe ! »
Mais
de quel côté ? Celui de l’administration pour laquelle il bûche un
mémoire sur la fatigue et qui le prépare à l’enseignement, celui donc de
la corporation qui sera bientôt la sienne, sa famille ; ou celui de la
victime et de ses camarades qui réclament ouvertement vengeance ?
Laisser l’anarchie gagner la place éducative n’est pas la solution, nier
le fait et parler d’accident non plus. Entre les deux, Narcisse va se
laisser entraîner au-delà de ses premières réactions instinctives de
sauvegarde : penser à survivre et à finir son Mémoire ! Mais dans cette
période trouble de règlements de comptes au moment où le Parti
communiste français est le plus puissant de son histoire (auréolé de son
rôle dans la Résistance — le partir des fusillés ! — et du poids de
quelques grandes figures, dont Aragon, mais en même temps harcelé par la
vindicte populaire qui voit dans ces rouges les épigones de Moscou
alors que pointe la Guerre froide — on se souvient du « plutôt Hitler
que le front populaire » qui stigmatise assez bien l’esprit français),
il n'est pas possible de rester neutre. Narcisse choisit donc la
jeunesse contre l'ordre, bien malgré lui il reconnaît dans ces jeunes
enfants la révolte qu'il essaie d'étouffer en lui par un docte respect
de la chose professorale.
La rencontre
inespérée, dans la montagne, d’un vieil homme revenu de tout lui ouvre
la voie à l’apprentissage réel des choses : jusqu’alors empêtré dans ses
théories, il dit affronter le réel, et il se confesse comme à un père,
lui qui jusqu’alors n’avait pas de mot assez sarcastique pour moquer la
« psycaca ». Le grand final, en feu de joie où l'Institution est
détruite sous le regard libéré des enfants, marque le point ultime de la
décision : il faut entrer dans l'acte.
Je suis un monstre
marque aussi le passage du romanesque traditionnel à l’engagement par
l’écriture plus indicative du polar, où Meckert s’illustrera sous le nom
de Jean Amila pour la Série noire et montrera le chemin aux actuels
tenants du polar social engagé à gauche. C’est le passage du passif à
l’actif, de la crise de confiance en soi (son engagement est-il lié aux
penchants amoureux qu'il ressent pour ce jeune élève ?) à la prise de
conscience politique, donc humaine, de l'impossible éloignement. C'est dans
l'humain que ça se passe, et cette longue crise, si elle est
initiatique pour le pauvre Narcisse (car il est aussi victime d'un
système qui lui impose des choix contraire à sa raison pour le maintien
d'un ordre auquel il ne croit pas), est pour le lecteur un grand moment.
Jean Meckert, Je suis un monstre, éditions Joëlle Losfeld, « Les œuvres de Jean Meckert » 2, mars 2005, 309 pages, 10,50 euros
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