Je suis un monstre, le roman des anti héros par Jean Meckert

Jeune professeur dans un centre de « redressement » éducatif perdu en montagne dans l'immédiat après-guerre, Narcisse hérite du poids incommode de la vérité : un jeune garçon a été tué parce qu'il était communiste, lapidé au détour du bois par la faction rivale. La politique n’attend pas le nombre des années, et l’enfance n’est déjà plus à quatorze ans : 


« […] Il est vrai […] que c’est l’âge mental des fanatiques, quels qu’ils soient. L’âge des héros !… »


Un roman sartrien ?

La question essentielle de ce roman est celle de l’engagement, comme dans les Chemins de la Liberté qui assoient le succès littéraire de Sartre dès 1945, dans le corps du sujet, et celle, réciproque, des salauds :


« Il faut s’engager Narcisse ! Et tout le reste n’est qu’une branlette informe ! »


Mais de quel côté ? Celui de l’administration pour laquelle il bûche un mémoire sur la fatigue et qui le prépare à l’enseignement, celui donc de la corporation qui sera bientôt la sienne, sa famille ; ou celui de la victime et de ses camarades qui réclament ouvertement vengeance ? Laisser l’anarchie gagner la place éducative n’est pas la solution, nier le fait et parler d’accident non plus. Entre les deux, Narcisse va se laisser entraîner au-delà de ses premières réactions instinctives de sauvegarde : penser à survivre et à finir son Mémoire ! Mais dans cette période trouble de règlements de comptes au moment où le Parti communiste français est le plus puissant de son histoire (auréolé de son rôle dans la Résistance — le partir des fusillés ! — et du poids de quelques grandes figures, dont Aragon, mais en même temps harcelé par la vindicte populaire qui voit dans ces rouges les épigones de Moscou alors que pointe la Guerre froide — on se souvient du « plutôt Hitler que le front populaire » qui stigmatise assez bien l’esprit français), il n'est pas possible de rester neutre. Narcisse choisit donc la jeunesse contre l'ordre, bien malgré lui il reconnaît dans ces jeunes enfants la révolte qu'il essaie d'étouffer en lui par un docte respect de la chose professorale.

La rencontre inespérée, dans la montagne, d’un vieil homme revenu de tout lui ouvre la voie à l’apprentissage réel des choses : jusqu’alors empêtré dans ses théories, il dit affronter le réel, et il se confesse comme à un père, lui qui jusqu’alors n’avait pas de mot assez sarcastique pour moquer la « psycaca ». Le grand final, en feu de joie où l'Institution est détruite sous le regard libéré des enfants, marque le point ultime de la décision : il faut entrer dans l'acte.

Je suis un monstre marque aussi le passage du romanesque traditionnel à l’engagement par l’écriture plus indicative du polar, où Meckert s’illustrera sous le nom de Jean Amila pour la Série noire et montrera le chemin aux actuels tenants du polar social engagé à gauche. C’est le passage du passif à l’actif, de la crise de confiance en soi (son engagement est-il lié aux penchants amoureux qu'il ressent pour ce jeune élève ?) à la prise de conscience politique, donc humaine, de l'impossible éloignement. C'est dans l'humain que ça se passe, et cette longue crise, si elle est initiatique pour le pauvre Narcisse (car il est aussi victime d'un système qui lui impose des choix contraire à sa raison pour le maintien d'un ordre auquel il ne croit pas), est pour le lecteur un grand moment.

Loïc Di Stefano

Jean Meckert, Je suis un monstre, éditions Joëlle Losfeld, « Les œuvres de Jean Meckert » 2, mars 2005, 309 pages, 10,50 euros
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