Lettre de consolation à un ami écrivain

Assistant à une rencontre-lecture lors de laquelle un ami écrivain dépose les armes et renonce à la littérature, Jean-Michel Delacomptée, auteur de cette très admirable Lettre de consolation à un ami écrivain ne peut s’empêcher de lui adresser la lettre qu’on va lire, d’abord pour l’inciter à ne pas renoncer, mais aussi pour lui parler du monde des livres tel qu’il va, et dans lequel cet écrivain renonceur a sa place, car même s’ils sont en nombre restreint il a des lecteurs. Et s'il en a moins que Musso, Levy, Angot et les autres, c'est simplement qu'il ne se place pas dans la même catégorie : l'un est à l'art ce que les autres sont à l'industrie du divertissement calibré.

 

Jean-Michel Delacomptée est un lettré, spécialiste de Montaigne et de Saint-Simon. Il faut donc prendre son titre au sens propre, "consolation à l’adresse de", c’est-à-dire non pas simplement le réconforter mais lui annoncer le Salut, au sens biblique du terme, par la venue de la vérité. Or cette vérité est qu’il n’y a pas à se consoler, mais à comprendre de quoi l’on parle quand on parle de littérature, de déclin, de modernité et d’art.

 

D’abord, Delacomptée signale un point très important : le romancier  à succès ou simplement "dans l’air du temps", ou le romancier qui ne fait que transposer sans métamorphose le réel (les scribes du réel comme Edouard Louis…), voire qui refusent le titre même (Annie Ernaux, ) qui l’on doit cette lucidité, au moins cela) n’est pas un écrivain. Il y a dans ces romans quelque chose d’immédiat, de non dérangeant, d’évident et de consensuel, des livres qui ne doivent pas être méprisés mais simplement remis à leur place : une distraction, sans art.


Etre écrivain, c’est vivre dans la langue, mettre tout son poids dans une phrase, vivre chaque mot comme un engagement plein, qu’importe l’histoire, c’est, selon le mot de Malraux, rectifier le monde et transfigurer le destin (La Lutte avec l'ange). Loin, donc, de toutes les productions livresques qui sont des produits de consommation courante, rapide, conçus pour un usage immédiat et dilatoire, le temps d’un trajet en train... Et pourtant ce sont ces livres-là qu'on hisse aux haut, même l'Académie française abaisse ses valeurs propres pour gagner un peu de notoriété en se discréditant un peu...

 

De la disparition de la poésie au l'avènement du romancier fier d'être sans racines, sans culture, sans patrimoine et qui se réjouit de n’être l’héritier d’aucune culture (croit-il, mais ex nihilo nihil …)

 

Il reste tout de même à se féliciter que la France reste un pays où le livre est fêté et célébré. Bien sûr, l’entre-soi médiocre et a-littéraire rafle la majorité des lots, mais qu’il reste un lecteur attentif à la poésie du texte, un amoureux des mots, alors la partie n’est pas perdue.

 

Lettre à un ami, lettre à soi-même aussi, lettre d’un lettré sur la déliquescence du monde et à la partie congrue où est rejetée la littérature, lettre sur les livres et les auteurs qui dresse le paysage assombri d'un monde qui ne tient plus ses poètes pour les plus grands hommes. Mais avec humour, intelligence et un savoir transmettre remarquable, Jean-Michel Delacomptée parvient à esquisser le portrait d'un art — la littérature — qui se dresse fragile mais digne contre le réel, alors que les romanciers renoncent et s'en font les simples recopieurs. Tant qu'il y aura un écrivain pour qui l'art consistera encore à se coltiner au réel, à la transfigurer, à le subsumer dans un travail sur la langue et dans la langue, alors il conviendra de ne pas désespérer et de poursuivre ! 


 

Loïc Di Stefano

 

Jean-Michel Delacomptée, Lettre de consolation à un ami écrivain, Robert Laffont, septembre 2016, 147 pages, 16 eur

Aucun commentaire pour ce contenu.