S'appuyant sur la haute figure de Saint-Simon (1675-1755), pair de France, le grand mémorialiste du règne de Louis XIV et de la Régence, Jean-Michel Delacomptée s'interroge sur le moment charnière dans la vie d'un écrivain qui depuis des années tient au fond de lui le secret d'écrire et de témoigner de son temps. "A partir de quel moment un écrivain, chargé d'un projet longuement fermenté mais qui lui résiste, finit par se lancer et, d'une traite, le réalise ?" A quel moment, pour quelle raison, dans quel contexte, l'écrivain en gestation devient-il un écrivain de facto ?  et pas n'importe lequel, celui qui, par sa grandeur, saura incarné comme nul autre l'esprit de la cour dans sa plus vil bassesse et l'esprit de noblesse tel qu'en lui il demeure imperturbable, "contraint" selon le mot du Duc d'Orléans son ami d'enfance. A quel moment le duc de Saint-Simon, témoin privilégié de son temps, a-t-il pris la plume pour entamer ses mémoires ? Au terme d'un long parcours biographique et historiques, en tableaux d'une époque (personnages, moeurs, etc.), Jean-Michel Delacomptée va répondre à cette question qui s'avère être plus un guide de lecture biographique de son sujet qu'une véritable interrogation morale sur l'art et son devenir, même si en effet la question mérite d'être posée. 

Dans une langue fortement habitée par celle de son sujet, Delacomptée dresse le portrait polymorphe où chaque angle montre une partie de la grandeur de Saint-Simon, sa vie, son époque, sa hauteur morale et sa rectitude. Une manière intelligente et bienheureuse d'appréhender le "monument" que constitue l'oeuvre de Saint-Simon.

Jean-Michel Delacomptée, La Grandeur, Saint-Simon, Gallimard, "Folio", 219 pages, juin 2016, 7,20 eur