Quand l’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux raccourcit le Temps

Depuis L’Embardée (2005) et Les Hautes falaises (2009), ma liste de mots-clés sur la Toile comporte celle de Jean-Paul Goux, auteur trop peu prolixe pour oser être distrait et passer à côté d’une de ses publications. Si l’homme est discret, son œuvre est florissante, bouquets littéraires aux axiomes variés et enchanteurs habillés de guirlandes lexicales à faire pâlir de jalousie les Immortels qui végètent sous la Coupole… et en oublieraient même telle entrée dans leur fameux dictionnaire.
Amoureux du temps, cet espace infini mais clos dans son dessein, Jean-Paul Goux narre des histoires d’amitié sur fond de lieux extraordinaires ; non pas dans leur majesté mais plutôt dans leur singularité. Un appartement, un domaine familial ou, comme ici, un "exil" en province, ce mouroir que les Parisiens honnissent autant qu’ils le craignent. Car, si Arnaud s’est résigné à quitter la "ville-lumière" c’est surtout par obligation économique, chassé de son appartement par un bailleur spéculateur qui vend à la découpe son bien, un beau jour, jugeant que le prix du mètre-carré a atteint des sommets si indécents qu’il est grand temps de tirer les marrons du jeu…
Mais comme le destin a de l’humour, Arnaud trouve, dans un charmant petit village, un magnifique appartement de plain-pied dans une demeure centenaire, avec jardin. Il aura donc tout le loisir de s’occuper et de pouvoir, avec un loyer moindre, procrastiner quelque peu et donc moins s’investir dans ses écrits alimentaires (notices, préfaces, etc.).
Ses deux meilleurs amis, Clémence et Vincent, ne l’entendent pas de cette oreille, et boudent quelque peu les déplacements ; sauf qu’un beau jour le téléphone sonne : Arnaud est hospitalisé pour commotion cérébrale. L’affaire s’éternisant, les deux amis doivent faire face et entreprendre de s’occuper des affaires d’Arnaud. Nous rentrons alors dans un long récit de la mémoire de leurs relations : les voix de Vincent et Clémence s’élèvent, distinctes dans un premier abord pour se mêler ensuite dans une seule et même litanie, souffle envoutant qui s’enroule autour de sa proie, tel l’anaconda, mais sans jamais l’étouffer, juste la maintenir en état d’attention totale. Rythme, musique, vocabulaire jouent la partition à la perfection. Le temps s’arrête, l’histoire se déroule…
Il me racontait que sur la plate-forme dégagée de l’éperon qui derrière soi s’élargissait et se relevait en pente douce jusqu’aux premiers arbres de la butte cintrée et entièrement boisée de la reculée, qui devant soi était contrefortée par un long talus d’herbe incurvé qui penchait jusqu’au village, il racontait qu’il m’avait dit après coup, une fois qu’on s’était assis sur le muret, que le sentiment d’être vraiment aux premières loges pour découvrir la conque du village qui recueillait les giclées du soleil acide, et la vallée à gauche, en contrebas d’un escarpement très abrupt, que ce sentiment s’accompagnait d’une puissante euphorie […]
Euphorie, oui, voilà le mot : ce sentiment de bien-être, d’ouverture au monde, d’épanouissement  spirituel ; cet état de confiance, d’optimisme – parfois excessif ou injustifié – mais si jouissif que l’on ne le contrôle pas ; euphorie, oui, aussi bien à la lecture que dans l’après, cet entre-deux où l’on referme lentement le livre, le laisse choir sur les genoux, ferme légèrement les yeux, et puise dans le silence d’après-lecture toute la quintessence de ce qui advint.
On dit merci Jean-Paul Goux…

François Xavier

Jean-Paul Goux, L’ombre s’allonge, Actes Sud, avril 2016, 138 p. – 15€

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