Jean-Paul Marcheschi : L’ouvert sans fin des peintres

Est-ce parce qu’elle impose un silence respectueux à son égard que la peinture déclenche des salves de commentaires ? Jean-Paul Marcheschi scelle ici un tombeau d’amour à cette forme si particulière de la beauté qui lui est chère… car il est de ceux qui sont persuadés qu’au commencement n’était point le Verbe, mais la lumière ! « C’est en ce sens qu’au peintre incombe de réécrire la Genèse. »

De Paul Valéry à Henri Focillon, l’auteur va s’attacher à raccorder des éléments épars qui feront sens, du corps du peintre à l’origine de toute création. Choix éclectique mais choix subjectif, donc, pour suivre les goûts de l’auteur vers ces peintres qui préservent les hommes des tourments provoqués par les mots.
Car Marcheschi est vent debout face à l’art officiel, l’art de la commande qui donne des œuvres techniquement parfaites mais mortes, car si le nomos prend totalement possession du tableau, l’esprit en est absent.

Qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses
a un Esprit dont la plus grande part est éternelle.

Spinoza, Éthique

Or sans esprit point d’humanité.
« Sans la peinture, nous ne sommes pas seulement privés de corps, nous sommes sans lieu. » Mais fort heureusement, Cézanne, Rodin, Picasso apportent leur concours pour que nous recouvrions nos repères et puissions marcher sans perdre l’équilibre, sans oublier de savourer les plaisirs du voir, et d’arriver à étirer le temps pour nous en donner tout le loisir de contempler lentement… « Avec Cézanne l’éphémère s’allie au permanent » et l’œil du regardeur peut tranquillement se perdre dans ses paysages… Picasso, plus viril, impose son « pinceau phallique qui établit définitivement l’amour comme scène agonique », et que ferions-nous sans amour, sans sexe ? C’est lui qui brisera l’interdit hypocrite en peignant toute la plastique du monde – tous continents confondus.

Quant à Rodin, Jean-Paul Marcheschi nous révèle sa face cachée puisque la plupart des gens l’inscrivent dans leur panthéon comme un sculpteur, lui qui aura peint et dessiné plus de huit mille œuvres… témoins de l’expérience la plus étrange, la plus intense d’un temps et d’un geste qui semblent ne puiser qu’en eux-mêmes cette force créatrice et cette grâce d’exécution…

Et puis vint Twombly, mouche dans le verre de lait. Seulement six pages, Marcheschi n’a sans doute pas grand-chose à en dire, ce qui est somme toute logique car il n’y a rien à dire de Twombly, sauf à écrire des âneries : jamais Marcheschi n’a pu voir Twombly sans penser à la grotte de Chauvet ; jamais je n’ai pu voir Twombly sans penser aux gribouillages de ma fille quand elle avait six ans. D’ailleurs dans sa tentative d’interprétation, n’évoque-t-il pas les enfants devant le tableau noir, craie à la main ?

Cet ancrage dans le contemporain décontenance un peu une lecture plaisante et instructive. On sautera donc ce passage pour ne conserver que l’idée d’un beau-livre érudit qui ouvre aussi, pour le lecteur, à d’autres fins possibles dans la quête de cette beauté sans qui nos journées seraient bien fades…

François Xavier

Jean-Paul Marcheschi, Cézanne, Rodin, Picasso, Twombly… L’ouvert sans fin des peintres, une vingtaine d’illustrations couleur et noir & blanc, Art3, 2016, 180 p. – 24,00 €

Aucun commentaire pour ce contenu.