Philosophe, écrivain, dramaturge, journaliste français (1905-1980), chef de file de l'existentialisme français. Biographie de Jean-Paul Sartre.

"Sartre voyageur sans billet" de Jean-Luc Moreau

Un drôle de clandestin


En guise de préambule, toute aigreur à l’écart, remarquons que Jean-Luc Moreau a commis un livre excellent qui ne fut guère chroniqué quoiqu’il ait paru chez Fayard en l’an de Grâce 2005 (1) où, de Jean-Sol Partre, il plut à la France de se souvenir avec force tapage, de la Bibliothèque Nationale aux orphéons sans lecteurs…


Le livre existe et peut-être demain, au hasard d’une thèse, d’un ouvrage général sur le siècle, plaira-t-il à un étudiant ou à un aspirant à la haute gloire des Lettres (ce jeune homme de province vers lequel vaguait la pensée de Stéphane Mallarmé ou de Paul Valéry sachant écrire pour les happy few) de le lire, le commenter et en distinguer l’intérêt supérieur.


Le thème en est inédit, il s’agit ici, Sartre voyageur sans billet, non pas du pape français de l’existentialisme qui, à Heidegger fut – tradition française oblige - ce que Victor Cousin avait été à Kant, ni du censeur des lettres françaises, porteur de valises, pas davantage de l’engagé qui s’est beaucoup trompé, du séducteur aux pieds sales, chef de file du Club des boudins mâles, du mauvais amant du Castor, du nabot juché sur un bidon devant les Usines de Billancourt, du crieur de la "Cause du Peuple", du dramaturge pressé d’illustrer des doxae, de l’anti-bourgeois proclamé qui installa la dissidence au cœur de l’Institution en refusant en 1974 le plus prestigieux des prix littéraires, mais de l’enfant triste qui demande réparation au voyage, en un mot du bon élève qui croisa le chemin d’un écrivain marqué par la grâce, Paul Nizan, son condisciple du Lycée Henry IV, rencontré l’année de leurs quinze ans.


Sartre voyageur sans billet possède le charme devenu rare des livres érudits et buissonniers. Jean-Luc Moreau a lu ce que nul ne lit plus, les prédécesseurs de Gide, de Louis Guilloux et d’Eugène Dabit à Moscou, Paul Morand, Jean Paulhan et Paul Bourget… Il sait tout du premier vingtième siècle. Ce professeur en fuite n’appartient pas à la race des universitaires qui entrelacent avec plus ou moins d’adresse des fiches cousues de réflexions pseudo-personnelles, mais à celle des essayistes qui, dominant leur sujet, en dépassent les apories pour offrir au lecteur une visio nova qui ne soit pas pure idiosyncrasie, mais patiente déduction née, et non surgie armée de pied en cap, d’un ensemble de preuves. Cet essai, à l’instar de son objet, est voyage. Il nous faut les mains et l’esprit libres, sans bagage, sans idées préconçues, emboîter le pas de Moreau, suivre Sartre de Berlin à New York, de Venise en Grèce, détruire en nous l’homme de culture (ce qu’est le lecteur de guide), l’amateur (le touriste) pour faire de notre lecture un voyage, une aventure dont, n’attendant rien, nous serons comblés.


L’acmé du livre tient à la découverte de ce qui lia Jean-Paul à Paul, non pas Bourget cher Jacques Laurent qui, en Hussard alliez toujours un peu vite, sous-estimant l’auteur des Leçons de psychologie contemporaine, mais à Nizan. Toute sa vie, Sartre regrettera de ne pas avoir reçu la duende de Nizan. Le meilleur se sera fait tuer à la guerre et le survivant, Sartre, n’aura de cesse de dépouiller le vieil homme pour attendre, loin de Saint-Germain des Prés et de Boulogne-Billancourt, la liberté native du premier.


Donc Moreau a relu La Nausée à la lumière du Cheval de Troie dont le succès de La Nausée, celui de L’Etranger et de La Condition humaine obscurcirent la fortune  (2). Nizan avait élu le voyage, non pas en clandestin, mais en fit sa situation : normalien et agrégé, il quittera le confort de l’Institution pour "l’édition, la librairie et le journalisme (3)", le salaire pour la galère, au nom des idées mêmes que Sartre – qui a signé sous Vichy le fameux formulaire dans lequel tous jurèrent n’être ni juifs ni francs-maçons – professera une vie durant. Sartre cessera d’enseigner, seulement gloire acquise et la figure de Nizan comme une ombre portée, un reproche, une grâce offerte obsédera sa vie.


Sartre est un des personnages de ce Cheval de Troie comme Drieu, un des masques d’Aurélien avant que le grand Aragon contre Nizan ne rejoue la mise à mort de Barrès par Dada, donnant au traître et au lâche policier Orfilat son visage (4) ! A l’homme qui a supporté Triolet toute sa vie et se sera envoyé en l’air après sa mort dans les palaces parisiens au frais du Parti, il sera beaucoup pardonné ! Au bâtard qui a cru trouver dans le peuple, un père et cru deviner sa Loi sous la figure de Maurice Thorez, je ne saurai, fille de…, jeter la pierre, au nom d’A la lumière de Stendhal, de La Semaine sainte et d’Aurélien justement ! Pour avoir été le pédé d’un Parti dont le matérialisme historique faisait un lieu où les camarades-femmes durent abandonner leur legs ou disparaître, sans cesser de servir le pain de la Révolution aux guerriers, d’un parti où Ethel R. . ignora toujours pourquoi elle mourut, il sera par passion de l’ironie absous ou presque !


Je n’avais lu de Nizan que La Conspiration et les Lettres du Front, vu un spectacle aussi adapté d’Aden Arabie et l’éclat de Sartre romancier s’en était un peu décoloré. Avec ce Cheval, les derniers éclats se sont dissous. A la fin d’un siècle où le potentat célinien nous a enseigné que "Les bons sentiments toujours font de la mauvaise littérature", donnant à croire que les mauvais servent de terreau au génie, le brandon des poètes antiques s’est éteint. Place aux Vivants ! La porte est étroite et le portillon de postulants encombrés ! Exeunt donc la douceur virgilienne qui voudrait envoyer à la guerre les pères de famille et les vieillards, la consolation d’Ovide qui, aux corps blancs des amoureuses promet l’éclat posthume de la voie lactée et l’éternelle reviviscence du laurier ou de l’orme ! Qu’il est bon aujourd’hui de lire ou de relire Nizan, romancier du visage humain. Aujourd’hui après que Simone de Beauvoir a proclamé qu’"après la guerre : même le brin d’herbe avait changé", il convient de se souvenir que, selon que vous soyez nés prolétaires ou bourgeois, la qualité de l’herbe (herbe de serpents et non pas pacifique), diffère. Cher Nizan, que vous lire rassure ! Il était donc loisible de dire avec grâce et sans misérabilisme la misère et l’avortement, l’inégalité des femmes devant le combat contre le temps, la détresse ouvrière, l’injustice et la méchanceté du monde. Point n’était besoin pour cela de recourir à l’ordure et au désespoir. L’ontologie de l’inégalité, sans emphase et sans militantisme quoi qu’on dise, par la grâce du roman, disparaissait et cette question du mal, tant rebattue, s’éloignait : les hommes pouvaient échapper à leur destin, il leur suffisait de mourir debout ! Il suffisait, camarade, de retrousser ses manches pour que demain fût un autre jour. Ah ! l’horrible mot que celui de camarade depuis que le PCF et les fascismes l’ont dévoyé ! Montherlant se souvenait du 1er Mai 1936 au cœur de l’Occupation, là le motif de sympathie qui irise l’œuvre de Nizan et la Question sociale toujours à l’ordre du jour, agacèrent vivement l’Institut allemand (5)… Moreau a vu ce que Céline avait fait à Sartre, combien il l’avait dévoyé, comme il en dévoya d’autres et fera, honneur à lui, de Nizan vivant et mort l’outsider, l’ombre qui accompagnera le meilleur de Sartre, le Clandestin, celui qui refuse aux honneurs, celui qui meurt, téléphone coupé, parce qu’il a distribué son bien sans compter. Toute la différence serait là, chantait Nizan dans Le Cheval de Troie : d’un côté l’or perdu en Danemark et de l’autre, l’argent offert sans mesure pour le soulagement des misères que le militantisme et l’action politique directe ou indirecte ne sauraient, la vie est brutale, atténuer.


Nizan, de toute la force de son intelligence et de sa bonté, aura refusé l’insignifiance de la mort. Toutes les morts selon lui ne se valent pas. Si la finitude inscrite est une contingence contre laquelle nul être sain d’esprit ne saurait s’insurger (quelle sottise tout de même que ce slogan du Castor "La Mort est un scandale !"), la mort pour le monde qui vient, pour la libération des injustices, le kleos, la belle mort demeure la seule issue honorable qui, d’une lumière certes oblique éclaire le chaos. C’est une merveille que de lire sous la plume du futur "interprète et agent de liaison Paul Nizan", tombé d’une balle allemande en mai 1940 dans l’escalier du château Cocove dans le Pas-de-Calais (pas très loin du lieudit où naquit un certain Henri Philippe Omer Pétain), son éloge et de comparer cette "mort pour la France", cette mort contre l’envahisseur nazi, à "la cérémonie des adieux !" Le destin aura été favorable à Nizan – quelques livres tous réussis (6) – pas de compromissions, surtout point de vieillesse et son hideux cortège, seulement une empreinte visible aux yeux des délicats dans l’œuvre dite majeure du siècle. Le Kleos toujours est un partenariat. Ces morts pour la patrie, morts pour ré-instituer le nom d’homme, demeurent les compagnons des nuits à veiller sous la lampe, quand les desperados, les fugitifs de l’idéal remplissent les verres des vivants de mauvaise bière et gros rouge qui, au réveil toujours, portent les cœurs aux lèvres. Nous avons dans la vie et la mort le devoir de choisir nos frères et les bourreaux pas plus que nos ennemis ne nous sont Frères humains. Elire, choisir, distinguer, voilà toute notre liberté, notre souverain bien ! L’esthétique de Nizan n’est pas très éloignée de celle de Montherlant et avant d’entrer et de sortir du PCF (lors de la signature du Pacte Germano-soviétique), Nizan avait un moment suivi Le Faisceau de Georges Valois « mort pour la France » à Bergen-Belsen. En ce temps-là, le choix était aisé quoi qu’aujourd’hui l’on veuille nous faire croire : il y avait la France et ceux qui l’occupaient ; il y avait ceux qui portaient l’étoile au cœur et ceux qui la portaient cousue sur leurs vêtements ; il y avait ceux qui signaient le formulaire que Sartre et Beauvoir signèrent et l’illustrateur Jean Brüller qui, pour ne pas apposer son blanc-seing sur "la charte de l’édition française" sous la botte, perdit trois doigts de s’être fait menuisier et ce garagiste dont l’histoire ne retiendra pas le nom qui devint ouvrier pour ne pas servir d’essence aux nazis (7). Oui, jamais les hommes n’ont été plus libres que sous l’occupation allemande, ils pouvaient, hommes de culture ou hommes du terroir, sans distinction d’âge ou de sexe, décider sans vertige du bien ou du mal. Ceci est devenu dans le monde comme il va chose moins aisée.


Portrait de Sartre en Agénor Fenouillard


Moreau a relu Le Cheval de Troie, paru en 1935, trois ans avant la Nausée dont la rédaction prit six ans au professeur du Havre et avec une maestria sans pareille, a replacé la Nausée dans son temps, contre Nizan, contre Jules Romains et Mort de Quelqu’un, dans le sillage de Céline. Après le passage au Stalag, Sartre sera devenu "l’un d’eux "», en dépit de la Gloire qui vient, l’un d’eux, un collaborateur de fait et un résistant d’intention, alors il devra se vêtir des oripeaux de Nizan, accepter l’importance collective de chaque homme. Il ne lui restera, pour demeurer l’homme seul, "l’individu" selon le vœu de Céline, l’homme dont il partage le dégoût du moite, de l’humide, des femmes – danseuses mis à part, mais les danseuses sont des déesses et le Castor, à son épiderme, à peine une femme (8), que le voyage. Du voyage considéré comme l’unique moment où être un "homme seul" guérirait partiellement Sartre de sa nausée. Du voyage comme lieu où la réalité aurait pouvoir de vaincre l’imaginaire ou encore du triomphe de la vie sur l’imaginaire qu’aucun amour humain, aucune pratique de l’écriture, aucune expérience ne lui avait offert, voilà la proposition de Moreau qui, par un retournement de pure ironie, ramènera Sartre à son point de départ : le Lange que Nizan sans acrimonie et avec lucidité, peignit :


Lange ne chantait pas, n’acclamait rien. Autour de lui, ses voisins obéissaient à un rythme d’élan et d’attention ; ils criaient…Il était un corps étranger parmi eux, pareil à une pierre, impénétrable, orgueilleux d’être une pierre, dur, distinct, séparé : l’orgueil se sauve comme il peut. (…) La foule était mouvante, elle avait un cœur, une vie : il la méprisait, mais il sentait en même temps qu’il l’enviait et il la haïssait d’être enviable. Cet univers de l’unicité humaine, il en saisissait l’ampleur, la simplicité, il y était, mais ignorant ses secrets, ses lois, ses effusions, ses rages. C’était comme l’eau, il n’aimait pas nager. (…) Sa vie rappelait celle d’un prisonnier condamné à fabriquer des objets humiliants, privés de sens, qui ne serviront jamais (9).


Sartre pourra, sans se sentir le moins du monde gêné, profiter de l’offre généreuse de Mussolini aux touristes étrangers : 70% de réduction à l’occasion de l’exposition fasciste de Rome ! Comme à Berlin de 1933 à 1934, il jouira pleinement de l’irresponsabilité de la jeunesse, déplorant seulement de rentrer « dans la France de Monsieur Doumergues, en terre fasciste. » L’araignée noire sur fond de sang dupliquée à l’infini dans les rues de Nuremberg ne heurtera pas sa sensibilité politique. Il n’en n’a pas. Il n’en aura peut-être jamais, s’essayant simplement après la guerre à coïncider avec le Réel, retrouver Nizan qui, pas un jour ne fit autre chose. Nizan avait osé – seul de son camp alors – l’idée que la solitude avait partie liée avec le déracinement, le déclassement, la misère, l’exil de la vie. Nous qui avons lu Ian Kershaw et qui savons désormais que le caporal H. fut un petit bourgeois trop choyé par sa mère, nous relisons « L’Enfance d’un Chef » avec des yeux nouveaux et sourions de voir que Sartre a reporté sur l’Homme la haine destinée au Bourgeois. Comme à l’accoutumée, crime contre la Raison, chez Céline, chez Sartre, chez Hitler, un procès d’ontologisation aura dérouté le jugement. Les hommes sont mauvais de s’être fait arracher leur dignité, leur nom. Le couteau de la valeur est tout, la reconnaissance suit.


Le livre de Moreau refermé, une inextinguible envie de rire nous saisit songeant que Sartre et Beauvoir parcoururent le monde et l’admirèrent, connurent ou crurent connaître, saisis par l’énergie new-yorkaise, des amours transatlantiques si violentes que l’un avait songé, pour la première fois, à convoler sans délaisser son harem de "grantécrivain" et l’autre, aimé dix-sept ans durant et que pourtant, ils étaient l’un et l’autre, l’un à l’autre revenus ! Revenus, écrit Moreau, à leur querencia (la place de l’arène où revient mourir le taureau épuisé) : c’est à dire au Flore ! Ainsi, semblables aux Fenouillard, les deux intellectuels les plus célèbres des années soixante-dix, revinrent-ils à Saint-Rémy-sur-Deule, Somme Inférieure, sachant, ô désespoir !, que ce village ne constituait pas le centre du Monde, mais qu’ils devaient y briller pour donner du grain à moudre à leurs biographes présents et futurs ! Sans jamais se gausser de Sartre, le regardant promener sa carcasse aveuglée par l’amour ou la haine de soi-même, Moreau parvient à nous faire comprendre la raison majeure du succès de Sartre : hexagonal !


ça valait le coup d’avoir haï Barrès pour n’avoir jamais su chanter le ghetto de Tolède où Le Greco oeuvra ! Ca valait le coup d’avoir libéré le Vietnam, le Biafra, combattu le racisme anti-noir aux USA, pour ne s’être jamais libéré de son substrat français et avoir excommunié le Camus des Chroniques Algériennes ! Ca valait le coup d’avoir voyagé sans billet pour, « taureau blessé trouvé sa querencia de vieil homme malade » en Italie ! ça valait le coup d’avoir psychanalysé Genet et Flaubert, pour être demeuré l’enfant de Cherbourg qui se sait trop timide pour prendre la mer ! Pour Sartre comme pour le Führer, le voyage avait eu le visage des héros de Karl May. Seulement voilà ni l’un ni l’autre ne surent se faire trappeur chez les trappeurs, Indien chez les Indiens, gitan chez les gitans, musulman chez les Turcs, amant d’Aziadé à Constantinople ou bâtisseur d’une maison aux sept piliers en Arabie heureuse. Clandestinité rime avec déguisé, fantasme avec masque et sans billet avec aguets ! En définitive, Sartre voyageur n’existe pas. La beauté de sa quête réside dans l’échec. D’un homme accompli, une fois de plus, Normale Supérieure, aura eu à l’avance la peau. Sartre en définitive n’aura été qu’un "copain" d’une Turne brillante où Aron lui vola, philosophe et témoin lucide de la chose arrivée à Nuremberg, la vedette pour jamais (10) ; où Jules Romains déploya le motif de sympathie qui toujours manqua à l’enfant disgracié et dont la foule en larmes le couronna un 19 avril 1980 où, 50 000 badauds et camarades s’en vinrent manifester au cimetière Montparnasse contre la mort de Sartre. La boucle était close, la mort de quelqu’un passait pour un scandale, au lieu de clore le corpus d’une œuvre. A la mort d’un écrivain, seuls ses amis, ses intimes devraient pleurer : Péan, panégyrique pour l’écrivain qui naît enfin !


Dans cette turne d’avant-guerre Paul Nizan avais compris l’enjeu du siècle, celui qui, contre le  "Communiste, couteau entre les dents", soulèverait les foules de Nuremberg à Berlin, puis à Paris, et aussi, déception fatale, le mensonge du Communisme !


Sartre clandestin n’existe pas ! Que le monde lui fut grand à la clarté du Flore, aux yeux du souvenir, il ne demeurait rien. Il avait oublié en chemin de regarder les hommes. Il décrivit les villes, les paysages, rédactions destinées aux écoliers du futur qui ne les liront pas. Le New- York de Sartre ne vaut ni celui de Morand ni celui de Céline ; son Espagne n’arrive pas à la cheville de celle de Barrès, de Gautier, de Mérimée ; son Maroc pâlit aisément face à ceux de Loti et de Montherlant ; quant à son Italie, celle d’Henry James (saluée par Paul Bourget) , celle de Chateaubriand, à l’avance, la disqualifiait. "Je me rends compte à présent que je suis parti dans la vie comme dans un voyage mais d’une distance donnée à un terme fixé. Il faut y arriver avant le soir. Je ne veux ni sentir ma fatigue, ni m’arrêter. Toute ma volonté est tendue. Il n’y a place ni pour la lassitude ni pour le divertissement, je ne m’abandonne jamais, tout est fonction du voyage." Aveu terrible que celui-là exprimé dans les Carnets de la drôle de guerre et qui conclut le livre. En un demi siècle, aucune « modification » ne sera intervenue.


Sarah Vajda


Jean-Luc Moreau, Sartre, voyageur sans billet, Fayard, octobre 2005, 396 pags; 22,30 eur


(1) Sartre naquit à Paris au solstice de juin 1905.

(2) Préface de Pascal Ory à la réédition de 2005 :  "Il n’y a pas de justice littéraire."

(3) Ibid, Pascal Ory, p. 10, "L’Imaginaire", Gallimard.

(4) Les Communistes, 1949, la chose disparaîtra de la version de 1966. Entre les deux Sartre aura réhabilité Nizan en préfaçant la réédition d’Aden Arabie, mais le mal était fait, Nizan pour avoir fui "l’école prétendue normale et dite supérieure" aura depuis lors été exclu du palmarès pour inconduite. Hors la survie scolaire et la souterraine, point de vie posthume. Et le moyen, Mort pour la France, en ces années qui se poursuivent sans trêve, d’avoir droit à ce statut de maudit réhabilité par le temps ? Nizan comme Péguy devra attendre. Aujourd’hui son statut « d’ami de Sartre » en dépit de leur brouille lui arrache encore des lecteurs. Le plus terrible avec la Vie littéraire, le Landerneau, tient à ce qu’il semble que post-mortem le huis-clos éternel doive se poursuivre, avec ses coteries, ses fâcheux, ses fausses gloires et ses piètres pécheurs !

(5) Il faut relire Le Solstice de juin, admirable ouvrage qui d’abord interdit parut sous la botte et expédia le pauvre Henri de Montherlant sur la liste noir du CNL pour comprendre ce qui lie Montherlant au jeune Althusser, à Roger Vailland et à Nizan et admettre la folie subséquente à l’absence d’engagement qui saisit les rescapés de l’abstention de 1945 au bel aujourd’hui.

(6) Les principaux Aden Arabie, la Conspiration, les chiens de garde.

(7) Brüller bientôt Vercors on s’en souvient étant père de famille eût pu, au nom des contingences, continuer à toucher l’argent de Gallimard !

(8) Sans doute une affaire de sexualité compliquée où Sartre aurait nécessité d’être le Maître lui rendit cet « amour nécessaire » plus abstrait que réel, là n’est pas le sujet, quoique le voyage toujours soit jouissance de l’étranger.

(9) Le Cheval de Troie, p. 177-178.

(10) On sait qu’à la fin de l’aventure de sa vie, Sartre rejoignit Aron : ensemble ils co-signèrent une déclaration de rupture avec l’Unesco en raison de positions prises contre Israël, qu’ils s’en vinrent en compagnie du jeune Glucksman chez le Président Giscard plaider la cause des boat people, ce qui somme toute valait bien la défense d’un certain Ayatollah… Il aurait suffi de frapper à la porte de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et d’interroger Maxime Rodinson ou Georges Vajda pour avoir une idée de ce que serait la Révolution islamique promise et venue !   

Aucun commentaire pour ce contenu.