Faye l'explorateur cosmique

Jean-Pierre Faye reste avant tout conteur et poète bien avant même d'être philosophe. Et ce même s'il fut réduit à cette "fonction"  tant on a oublié que ses premiers écrits furent d'une part les poèmes (Fleuve renversé, Couleurs pliées, et d'autre par les  récits (Entre les rues, Battement).
Ensuite seulement il s'est lancé dans son monumental travail sur Les langages totalitaires avant que soient rassemblés les articles du récit hunique, sommet de la grande époque de Tel Quel en 1967, juste avant la rupture et la création de Change. L'auteur y annonçaient : Les Huns arrivent. Et croyez-le ou non : ils viennent par le langage ou le récit.

Souvent drôle, ironique, obsessionnel il a fait émerger une pensée philosophique restée latente qui relie la pensée matérielle et la pensée mystique par le toucher d’amour et des corps. L'œuvre devint au fil du temps une grande narration ininterrompue. Chaque moment  ou fragment comme l'écrivit une de ses plus proches (Mitsou Rona) scrute l’horizon homérique  dont il offrit des variations jusqu'à ce que, avec Le corps miroir, il crée son œuvre la plus sidérante là où le corps regarde le monde : par le mouvement de son regard il dessine et colore l’univers. / Je vois les choses qui s’éteignent, et je puis hâter la nuit en fermant les yeux. Le regard cesse alors d’être un miroir. / Notation qui est de peu d’importance – jusqu’au moment fort récent, de savoir que l’univers a un âge, aussi précis que celui d’un enfant.

Le monde et la poésie y débaroulent. Le seconde  regarde l'Est et l'Ouest intensément pour prouver que la rime du monde bat d’un côté à l’autre, d’une côte vers l’autre.
Contrairement à ce que fit Tel Quel, Faye avec Change montre les faces et les envers du monde dans les jeux de l’histoire. D'où la singularité d'une œuvre qui héritière de celle de Mallarmé rappelle que ce que le dé est au coup de dés, le visage l’est au coup de jet du monde.

À partir de là Faye  croit à la possibilité de changer le réel initial par des variations narratives de ses langages. Pour l’auteur : Le corps miroir est un corps vivant affamé, assoiffé et désirant, parlant et agissant. Et ce en abolissant le partage des genres qu'opère la littérature classique.
En ce sens Faye prouve alors que dans ce que nous estimons être la philosophie ou n’être que la philosophie, il existe une histoire du corps narratif des concepts qui livre des récits de la pensée dont Le corps miroir propose au lecteur des perspectives essentielles.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Jean-Pierre Faye, Le corps miroir, préface de Michèle Cohen-Halimi, coll. Antiphilosophique, éditions Nous, juin 2020, 192 p.-, 18 €

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