Jean Raspail le miséricordieux

N’en déplaise aux pisse-froids, Jean Raspail est un immense écrivain. Pour preuve ce dernier ouvrage qui en est déjà à son second retirage. Le public, lui, ne s'y trompe pas... Outre son talent de narrateur, son style clair et précis, Jean Raspail a ce don de vision. Il est un prophète ! D’où l’obligation de le dénigrer. Puisqu’il voit des décennies avant les autres les virages que va prendre la société. La manière dont les êtres humains vont se dissoudre dans un bain commun. Y perdant toute valeur, toute histoire, tout sens de l’honneur. Plus de nations ni de passeport, sauf une carte bancaire pour consommer. Le rêve de nos chers politiciens…
Et Jean Raspail d’en rajouter au fil de son œuvre en distillant ici et là l’idée d’une spiritualité au-dessus des contingences. Une force suprême qui ne serait même pas Dieu. Ce petit quelque chose qui fait de nous une bonne personne… ou pas.

Alors quand arriva ce fait divers, ce prêtre qui assassina sa maîtresse et l’enfant qu’elle portait en elle, Jean Raspail sentit la possibilité d’un livre. Voilà un homme qui, sous couvert de la foi, commet l’irréparable. Dans un delirium qui foudroie le citoyen lambda et inquiète l’Église. Si bien qu’une fois condamné, il est rejeté. Oublié par l’Église qui ne lui accorde même pas un référent au sein de sa prison. Ne répond plus à ses lettres.

Jean Raspail a mis des décennies à écrire ce roman. Plusieurs versions furent délaissées. Des ajouts oubliés dans le tiroir, volontairement. Sujet trop difficile. Car le romancier n’a pas creusé dans la veine du sensationnel. C’est bien vers le calvaire du prêtre, enfermé avec sa conscience, qu’il s’est projeté. Pourquoi un tel acte ? Comment vivre avec ?
Où placer l’amour après ça ?
Et la place de l’Église qui n’abandonne jamais se prêtres, fussent-ils couverts d’indignité…

Souvent comparé à Bernanos, ce petit livre est surtout un grand roman. Il nous met tous face à nous-mêmes.
De quelle manière aborder notre monde actuel ? Quelle arrogance affichons-nous face aux autres ? Vers qui nous tourner ? Comment combler le vide entre deux journées de travail… Petit manuel d’agir autrement, porté par le biais d’un drôle de roman, Jean Raspail fait œuvre de salubrité publique. Aussi bien son narrateur, avocat qui a réussi, aux travers bien connus. Que père Jacques, l’assassin. Ou l’évêque du diocèse qui tente de briser la glace.
La rédemption est un long chemin pavé de bonnes intentions. Mais est-ce ainsi que l’on y parvient ?
N’y a-t-il pas autre chose à faire ?

Annabelle Hautecontre

Jean Raspail, La Miséricorde, Équateurs, mai 2019, 175 p. -, 18 €

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