Toute culture est belle

Il existe un accent de mon pays, une mélodie intime qui me hante et qui me poursuit comme une carte d’identité. Il fait partie de la polyphonie du monde. Je veux le chanter, le célébrer. Pour fêter mon créole, je n’ai ni jéroboam de champagne, ni dame-jeanne de rhum blanc ou brun. Je n’ai même pas de bouteille.  Seulement une calebasse bien grande et très écolo. Je l’évide par un trou où je coince comme bouchon un épi de maïs égrené.

Je lance ma calebasse dans l’océan des langues et de la littérature. Et là-dedans, des pensées sans frontières émises à l’envers pour qu’on puisse les lire dans tous les miroirs. Des pensées créoles et humaines, inspirées des quatre horizons, puisque nous sommes sur la route du soleil, autant d’orient que d’occident, aussi subsahariennes, qu’égyptiennes ou hellènes.

Des idées à zieuter ou à lire par qui sait prendre le temps d’écouter croitre un calebassier, de fureter en nageant dans les belles criques du monde. Depuis Marie-Galante jusqu’à l’archipel des Mascareignes. De Jérémie à Port-au-Prince. De l’île de La Tortue à la Nouvelle Orléans. Idées verticales, pensées horizontales, démarches obliques comme le commandent la vie et son parcours cahoteux. Phrases de presqu’île imbibées de sel et d’universel. Et quelque part, l’exigence esthétique du toubib reconverti que je suis.

La créolité se définit par une langue, c’est vrai. C’est aussi une culture, une posture. Je suis un écrivain créole qui écrit en français. Dans mes phrases, la musique cachée de mon coin du monde, les vibrations d’un tambour, les accents étranges d’une flûte en bambou qui font frémir le monde. Les sons doux ou les pétards des consonnes qui se manifestent avec force pour exister contre le vent, contre la mer. Les voyelles qui se mélangent, se permutent, se prononcent à leur façon et qui douées de camouflage prennent la couleur des fleurs sauvages et la senteur des épices de chez nous.

Vive ma langue maternelle. Vivent ses cousines. Vivent mes langues et leur musique.  J’aime la symphonie tricotée au fil des accents du monde. À en croire un dicton de chez nous, il n’y a que le couteau à pouvoir sonder le cœur de l’igname. Faites-vous couteau pour comprendre, pour percer le léger rideau, éplucher la mince pelure qui me sépare de vous.

Les voilà donc dans leur crudité, dans leur nudité, ces pensées d’igname et d’ylang-ylang, à la fois souterraines et aériennes. Effluves typiques d’un terroir à peine aspergé de crachin. Parfums suaves embaumant les aisselles des sous-bois. Tout cela doit sans doute vous plaire. Si au contraire cela vous irrite, faites-en un autodafé ou mieux encore balancez-le selon le conseil de Gide à Nathanaël. Mais de grâce permettez que je vous le répète au préalable : -
Toute culture est belle. Tout langage est beau dès lors qu'on touche à son génie*. 

 

Jean-Robert Léonidas

(*Jean-Robert Léonidas. Les Campêches de Versailles, Montréal.)

Sources : Extrait de Hélène Tirole & Jean-Robert Léonidas, L'Impertinence du mot, Riveneuve, Paris, 2018

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