Croire mordicus à la résurrection d'Haïti*

Notre besoin de croire est impossible à rassasier, disait  André Comte-Sponville dans La Sagesse des modernes (Robert Laffont).  Nous  croyons fermement dans les idées, le mot, le livre, tous précurseurs d’action. Nous y croyons d’autant plus profondément que nous griffonnons notre existence sur des pages distantes dans une Haïti oubliée, à double vitesse, pays de culture et d’inculture, terre de mornes et de plaines, de hauteur et de bassesses, de destruction et de poésie, de ratures et de littérature…

Un an après la fin du monde, la postériorité existe encore sans être capable d’inventer le néant ni le miracle de la résurrection. Et  nous les estropiés, nous  continuons  notre  marche dialectique entre la racine et la fleur, jouant à la marelle entre la terre et le ciel, poussant à cloche-pied les lignes du poème qui  charrie essoufflé les semences sèches de la reconstruction.

Même si  notre besoin de croire est impossible à rassasier, Haïti, en ce 12 janvier 2011 pour toi je crois. Pour toi j’avais semé la «Semence» que voici:

             quand la morte saison hante le souvenir

             s’installe au creux du ventre et ne veut pas s’enfuir
             âprement résistant à l’oubli
             sans vergogne sans eau sans alibi
             le geste d’un semeur ganté de sécheresse
             annonce la détresse
              quand les machettes creusent des entailles
             dans la moustiquaire de la liane corail
             déchaperonnent les gommiers
             et le berceau des amandiers
             quand elles font des chemins de rat
             dans la toison de nos lilas
              quand les bambous ne font plus baldaquin
             au lit de la Rouyonne
             et que les files de sapins
             n’égayent ni n’environnent
             le Vieux Bourg d’Aquin
             alors le temps des crachins
             prend une nette revanche
             devient soudain paradoxe d’avalanche
             alors je récite l’alphabet de la vie
             pour toi ma belle au teint d’aubergine
             je fais couver des graines dans des bacs au soleil
             je rêve de dattes de barbadines
             d’une saison de mots d’une formule espoir
             je chuchote les consonnes de ton nom
             dans les couloirs de mes tympans
             j’en écris les voyelles
             sur le tableau de ma rétine
             afin que jamais je n’oublie
              ton nom est un désir inscrit dans mon destin
             avec toi je batifole
             je sème des lettres des mots des phrases
             des œuvres de chair et d’esprit
             des gamètes d’abondance
             des germes de femmes qui font pousser des hommes
             des semences d’hommes qui font le tour des mers
             ramenant avec eux richesse et expérience
             des trésors de bonne foi des butins de l’errance
              je protège tes fleurs tes fruits ta chevelure
             tes racines tes pieds ton rythme ton allure
             ô terre tourmentée de vallées et de faîtes
             de sublimes efforts de piteuses défaites
             de commencements
             et de recommencements
              vieux pays de colons de colonnes d’esclaves
             de biens fonciers de lopins et d’enclaves
             de passion de tension
             d’incompréhension
             de contorsions pour rien de sueurs pour grand merci
             je réclame la paix pour ailleurs et ici
             de nouveaux plants d’hommes et de braves bergers
             de nouveaux animaux des pousses des vergers
              j’intercède pour une autre saison
             pour une année de guérison
             une pluie d’arrière-saison
             pour le printemps de la raison 
            (extrait de Parfum de bergamote, Montréal 2007)

* Publié il y a 10 ans sur le site littéraire du NouvelObs.

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