Poème : À Jacques Stephen Alexis*.

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Pour les 100 ans d’un grand monsieur.

Dans tes hémisphères précoces où poussaient de grands rêves,
Se dessinaient déjà ta vocation d’esculape
Et ton amour pour les lettres.
Il y a la santé des hommes, il y a le salut de l’homme.
Tu t’es engagé dans le métier de guérir les javarts des estropiés.
Tu t’es laissé aller à la passion de mettre du noir sur du blanc, en toute élégance,
L’autre nom de l’écriture à en croire Mallarmé.

Le passage du stylo à la baïonnette s’impose parfois,
Pour les prédestinés,
Lorsque le coup de gueule des mots
Ne donne pas sa mesure et n’atteint pas sa cible.

Alors se pointe l’action, le pas de côté que le commun des plumitifs ignore.
Quelle chrysalide ne rêve pas d’escalader les airs
Et d’aller fleurter avec la stratosphère ?
Sinon, le firmament serait un mythe et la sublimation un mensonge.

À quoi sert-il de recouvrer la santé, si le salut n’est pas le but ?
Si l’on ne s’investit pas dans la conquête de l’univers et de son sauvetage ?
À quoi servent la rose et son nom si on ne s’est jamais piqué le doigt
En bouturant une tige dans le terreau de la douleur ?

Nous médecins écrivains, êtres hybrides qui jouent de la vie à deux mains,
Comme d’un instrument de justice et de paix,
Notre idéal est de sauver le monde.

Et je parle d’ici et de maintenant.

De notre bien-être sur la terre d’Haïti.
Je parle d’un cerveau qui raisonne comme il faut,
De l’estomac affamé qui sait calmer ses crampes,
De la cassave et de la cahute pour tous.

Du lait et du miel. De la sérénité des justes.
Être toubib, c’est lutter contre la mort.
Être écrivain, c’est être un poil à gratter au cul des inconscients.

Tu l’as bien compris Jacques, car cela est dans tes veines, dans tes humeurs.

Descendant en droite ligne de la mouvance de Dessalines,
De ses gènes, de son idéal,
Tu portes en toi la lumière des premiers jours,
Tu sais la différence entre le couchant de la souffrance
Et le triomphal lever des étoiles
Salut frère aîné. Salut confrère.

Du sein de notre Alma Mater, tu es sorti médecin en 1945.

Du sein de ma mère, je suis sorti vivant un an après,
À la recherche d’un modèle.
Nul ne savait qu’avec quelques autres, nous allions suivre l’ébauche de ta voie.
Très partiellement je souligne.

Ton scalpel, mouillé de pleurs, de la suppuration des abcès,
N’a pas eu le temps de s’accomplir pleinement.
Il y a le stylo et l’encre de la colère,
L’écriture et les émotions,
Les voyages et la passion.  

Les exemples vivants parlent plus fort que le lexique et les romans.

Nous, tes disciples, nous avons trainé les pieds. De bonne foi peut-être.
Toi, tu es allé jusqu’au bout, toi l’écrivain, l’homme d’airain,
Le médecin, l’homme de foi et d’action.
Tu as gardé ton trépied : le scalpel, le stylo et l’arme de la dissidence.
Tu les as gardés jusqu’à en mourir. Toi le sacrifié,
Victime de traitrise. Mais tu vis encore,
Tu respires dans les pages de notre histoire, dans la fine facture de tes phrases.

Les rotatives continuent à longueur d’année d’imprimer ton nom, ton message.

Bonjour lumière, je te salue Général Soleil !

Jean-Robert Léonidas (médecin et écrivain haïtien).

*Extrait de Jacques Stephen Alexis. Legs et Littérature, no.18, mars 2022. p. 361 (sous la dir. de Jean Jacques Cadet, Ulysse Mentor, Michèle Duvivier Pierre-Louis, Dieulermesson Petit Frère).

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