Musée*

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Monsieur… Immortalisez-moi dans vos livres.

Monsieur est un bourlingueur toujours en partance. Il fait le tour des jardins et des musées du monde. Il aime tellement le végétal que pour lui les femmes sont des fleurs, les muses des jardins suspendus. Il nous dit avec émerveillement qu’ici de véritables fleurs au cœur de sang, des femmes réelles, contemporaines de nos arrière-grands-mères, habitent encore les tableaux des grands maîtres et s’y épanouissent. Dans les villes et villages de ses pérégrinations, à chaque coin de rue, dans chaque quartier, chaque bistrot, il a croisé des visages de femmes qui ressemblent à des portraits de cimaise tout craché. Les grands maîtres, ils sont de simples hommes que l’art a transformés en géants. Les modèles, de simples femmes immortalisées par le pinceau...

On ne sait avec quel regard de lynx il réalise la ressemblance entre les corps couverts qui, affairés, sillonnent les boulevards des mégapoles et les seins découverts des femmes figées et encadrées, anciens modèles pour lesquels les maîtres se passionnaient avec ferveur. Il sait tout reconnaitre dans les rues avec son flair de généticien. Tantôt la filiation secrète entre telle démarche et une femme qui posait pour tel impressionniste. Tantôt un sourire d’ivoire qu’il jure avoir reconnu dans telle salle de musée, gravé par le ciseau de tel sculpteur. Il a tremblé sur l’exactitude de ses idées et a tout compris quand une femme, avec laquelle il a eu des conversations entre deux brèves de comptoir, lui a dit : Monsieur, je sais que vous écrivez. Immortalisez-moi dans vos livres. Rendez-moi célèbre. Il s’imagine qu’elle est, à une génération près, une arrière-petite-fille d’un modèle de Degas…

Ailleurs, sur un autre continent : autre chose. Des tableaux dans lesquels les femmes furent à la fois esprits et fleurs. Des fleurs asexuées. Erzulie habite encore les toiles des peintres.  Cette femme esprit, aux multiples mariages selon la légende, n’a sans doute jamais enfanté. Jusqu’à date, aucune des femmes extravagantes qui chaloupent à l’ombre des tulipiers, dans la magie des quartiers sombres, ne semble lui ressembler. Nulle vierge de sa progéniture, si jamais il en est, n’a apparemment pas mis les pieds sur terre, ni fréquenté les bistrots du bord de mer où l’on consomme le rhum blanc et la crémasse. À conclure que là-bas, au pays d’Erzulie**, les déesses se camouflent dans leur mythologie et n’ont aucune intention de s’incarner pour le moment. Aucun lien de parenté entre celles qui hantent les huiles, les acryliques, les aquarelles d’un côté et de l’autre, les ravissantes beautés dont les pieds écrivent des pas sensuels dans le sable chaud des plages tropicales. Erzulie ne joue pas encore à ce jeu-là. Elle sait que l’incarnation démythifie les déesses et les dieux.

*Extrait de Rythmique Incandescente, Jean-Robert Léonidas, Riveneuve éditions, 2011

**Erzulie est une déesse du panthéon vodou haïtien.

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