Jeanne Sialelli, Le train 8427 en provenance de Genève : le fantasme du viol

Décidément, le viol est un sujet très exploré en littérature cette année ! C’est mon quatrième en quelques semaines… Lire n’est pas de tout repos parfois. Voici donc un premier roman paru aux Éditions Blanche, qui exploite ce sujet, cette fois, en tant que fantasme. À vrai dire ce n’est pas nouveau, ce fantasme si ambigu est souvent raconté par des femmes excitées à l'idée de se faire contraindre et prendre de force. C’est presque assez banal dirais-je et même fréquent notamment dans les jeux et la littérature SM.

 

La quatrième de couverture de ce roman comporte une erreur, l’héroïne n’est pas une jeune fille, mais une mère de famille mariée , qualifiée d’ailleurs de « vieille » par les protagonistes de l’histoire. C’est un détail, mais d’importance.  

 

Cette femme qui s’ennuie dans sa vie trop tranquille, rentre chez elle en train après une visite chez sa grand-mère à Genève. Celle-ci l’a mise en garde contre les mauvaises rencontres en évoquant vaguement quelque chose de très grave qu’elle a vécu dans sa jeunesse. Jeanne est troublée par cette confidence. Dès le départ du train, elle s’évade dans une rêverie éveillée et fantasme à mort sur un viol collectif qu’elle subit là tout de suite à peine le train engagé sur les rails, un viol renouvelé sans cesse, qui va durer tout le voyage. Elle doit obéir à un homme qui la séquestre dans le compartiment et dont elle s’éprend (le syndrome de Stockholm ?). Il la livre et la vend au tout-venant du convoi ferroviaire dans la violence et l’asservissement. Les circonstances des viols et leur déroulement, tout comme le manque de réaction de Jeanne au début de l’action, sont tellement improbables que nul ne peut douter qu’il ne s’est strictement rien passé entre Genève et Paris.

 

Mais un fantasme, par essence, reste fantastique et peut se jouer de toute vraisemblance. Il n’empêche, cette première partie du roman n’est pas efficace (ce n'est que mon point de vue, elle peut en ravir d'autres)  et l’écriture erratique n’arrive pas à transcender les scènes de viol. Quelque chose d'artificiel enraye la  mécanique du récit. La violence perpétrée par la quinzaine d’hommes qui se succèdent est parfois extrême, mais Jeanne passe de la souffrance à l’extase quand le chef de meute la cajole et lui parle gentiment, presque avec raffinement. C’est de lui dont elle s’éprend, le fantasme de la petite bourgeoise qui cherche un père Fouettard ou un maître sévère et intraitable, mais tendre et aimant.

 

L’éditeur affirme que ce « texte érotique est destiné à entrer dans la bibliothèque des grands textes du genre ». Je reste dubitative… De quoi parle-t-il ? De l’érotisme ? La puissance érotique n’est pourtant pas au rendez-vous, il ne suffit pas que les scènes soient osées, très crues et violentes ou que l'héroïne se fasse dérouiller sévèrement, même en y prenant parfois goût.  Personnellement le sang et les coups de poing ne m’ont jamais fait frémir. Cela ne suffit pas pour faire un grand texte.  Il manque la saveur de l’écriture dans cette narration  Comme je viens de lire Oh… ! de Philippe Djian, je reste sur ma faim…Au delà de la différence de registre de la langue, l'ambiguïté du plaisir éprouvé par la victime sonne mieux chez Djian.

 

La seconde partie est beaucoup plus intéressante et mieux écrite. Jeanne arrivée chez elle poursuit son fantasme. Elle transforme ce voyage de débauche pour le faire entrer dans sa réalité. Elle a été violée, mais n’en parle à personne, c’est une victime avec tout son cortège de symptômes invalidants. Jeanne veut que son existence prenne du relief , elle cherche son violeur partout, l'homme qui a su si bien la faire jouir et rêver. La vie devient un enfer pour elle et son mari. Le récit se poursuit avec finesse entre imaginaire et réalité, jusqu’à tout brouiller. Jeanne violée et menteuse cherche l’issue, tout comme la romancière cherche l’épilogue. Bien vu ! Cette partie du livre est plutôt prometteuse. Selon moi, c’est un essai à transformer.

 

Anne Bert

 

Jeanne Sialelli, Le train 8427 en provenance de Genève, Éditions Blanche, octobre 2012, 144 pages, 13,50 €

 

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