Jérôme Ferrari dépeint l’inéluctable défaite des Hommes

Notre monde désarticulé se lit désormais par l’image, et même les rares écarts littéraires tendent de plus en plus à s’écrire comme des scénarii afin d’aider le lecteur à visualiser, comme s’il était définitivement admis que sa crétinerie est telle qu’il n’a plus aucune imagination pour se construire ses propres images, ni d’esprit pour deviner, ressentir ce que les personnages vivent, alors l’auteur se sent obligé de décrire dans le moindre détail jusqu’à la couleur de sa miction du matin, n’est-ce pas madame Angot ?
L’art contemporain démontre que la peinture n’est plus qu’un vecteur de propagande ou un outil de défiscalisation, un moyen technique et non plus une œuvre, et encore moins une porte spirituelle vers ailleurs. Alors tout le monde ment pour aboutir à ses fins, du mouvement soit disant spontané des jeunes derrière le candidat Macron – quand on sait maintenant que ce ne fut qu’un jeu de dupe de plus pour piéger l’électeur – aux attentas sous fausse bannière pour justifier une guerre préventive de plus, si bien que seule compte l’image, cette photo qui ne suspend pas le temps - comme la bonne peinture - mais le fixe à jamais dans sa cruelle éternité. Preuve définitive de la veulerie des Hommes qui ne vont que de défaite en défaite… sujet dont Laurent Gaudé s'était d'ailleurs emparé en 2016.

Pour bien enfoncer le clou, Jérôme Ferrari filme l’inéluctable défaites de ces femmes et de ces hommes qui courent après un mirage dans la réalisation d’un mythe moderne voué à l’échec (le nationalisme corse et ses luttes intestines) ou s’ingénient à vouloir témoigner par l’image des pires exactions portés par le candide espoir que cela pourrait changer quelque chose, alors que tout le monde s’en fiche du moment que cela se passe assez loin de chez soit : combien de millions de familles ont-elles dîné pendant quatre ans devant le martyre du siège de Sarajevo ?
Le massacre des Innocents ne coupe plus l’appétit à personne du moment que papa Noël apportera le dernier iPhone sous le sapin ; or de sapin, ne l’oublions pas, c’est une certitude, il sera notre dernier costume quoi qu’il en soit, une raison peut-être de se soucier un peu plus de ce que démontrent réellement les images dont on nous bombardent chaque jour les rétines, et non de ce qu’elle semblent signifier au premier abord.

Ainsi, dans une spirale infernale, Jérôme Ferrari nous entraîne lors de la messe d’enterrement d’Antonia, jeune photographe corse qu’une grosse fatigue a poussée dans le ravin au volant de sa voiture ; messe en pleine canicule qui n’en finit pas, à dessein puisque le prêtre est aussi le parrain de la défunte et qu’il s’oublie dans les souvenirs, s’accusant d’être à l’origine de tout, lui qui le jour de ses quinze ans, lui a offert un appareil photo, donnant voie à une vocation qui la conduira au-delà des fêtes de villages méridionales, dans l’enfer de la guerre en ex-Yougoslavie

Poignant de bout en bout, construit dans une langue sobre, lente, profonde et lancinante, ce roman noir rappelle combien l’éphémère temps passé sur terre est perdu en absurdité, détails, conflits tous plus inutiles les uns que les autres. Une manière de nous dire qu’il y a mieux à faire de ses journées…

François Xavier

PS – le 24 novembre, à 15 heures, au théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, Jérôme Ferrari et Jean-Marc Bodson, historien de la photographie, s’entretiendront autour du thème de ce livre…

 

Jérôme Ferrari, À son image, Actes Sud, coll. « Domaine français », août 2018, 224 p. – 19 €

Le sixième prix littéraire Le Monde a été attribué le 5 septembre 2018 à Jérôme Ferrari.

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