Les horizons bleus de Jérôme Garcin

Dans Bleus Horizons, Jérôme Garcin  jette une  poignée de terre sur un poète fauché en 1914, Jean de la Ville de Mirmont , tombé sous la mitraille et  qui aurait pu devenir aussi célèbre qu’un Maulnier dans l’histoire de la littérature  si un obus allemand n’avait figé sa postérité en statue de terre. 

 

Mort debout sur le Chemin des Dames, Jean de la Ville de Mirmont n’eut le temps de  composer qu’un unique recueil de poèmes L’Horizon Chimérique et un court roman  « Les dimanche de Jean Dézert » , texte atopique dirait-on aujourd’hui qui raconte les déambulations dominicales et « contentements misérables »» d’un rond de cuir  un peu terne. Les poètes souvent sont prophètes. Comme Arthur Rimbaud qui se prédit  « estropié », revenant des pays chauds,  Jean de la Ville de Mirmont , héros de Bleus Horizons a la prémonition d’  un futur  "chimérique" . Ses rêves malouins de bateau et de « grand voyage » ne se concrétiseront jamais. Malgré cela , le grand Grasset le publiera. Le grand Fauré percevra sa petite musique et composera une œuvre autour de son poème. Un baryton illustre du moment (Charles Panzera) en célèbrera les tremolos lancinants. François Mauriac qui a connu  le poète jeune homme s’émouvra de sa fin tragique au point d’en être hanté. Mais le livre de Jérôme Garcin n’est pas seulement le roman historique d’une vie exemplaire et brisée. Derrière Jean de la Ville de Mirmont et à travers son narrateur Louis Gémon,  un « poilu » qui l’a accompagné dans l’enfer, un compagnon inconnu soldat,  c’est tout le peuple des sans-grades qui hurle à l’absurdité. Bleus Horizons   a une ambition  forte : faire comprendre le poids de cette guerre sur toute une génération. Une guerre qui aura affecté aussi bien ceux qui l’ont fait que les autres meurtris de culpabilité comme le grand Mauriac , comme l’intransigeant Fauré. Et le désarroi de Louis Gémon est plus bouleversant au fond que les états d’âme des grands serviteurs de l’art . Ce poilu  qui ne peut plus vivre normalement va se lancer  dans une réhabilitation impossible et émouvante de son ami au patronyme qui sonne comme un octosyllabe (la scène avec le journaliste qui moque le nom de son ami est pathétique, celle de Mauriac accablé d’avoir été pistonné pour ne pas partir nourrit une inattendue compassion etc.) En tentant de remplir le puits d’absurdité de quelque signification, Louis va tout perdre (la « petite épouse » qui l’a accompagné dans sa lente et douloureuse reconstruction, ses biens, plus grave : une raison de vivre ) avant que l’histoire ne le rattrape et fasse éclater, à nouveau,  le non-sens d’une guerre nouvelle. Après Guillou, Maulnier,  Céline ,  Rouault  et de tant d’autres, Jérôme Garcin ne veut pas s’arrêter

« Nous serons vainqueurs  avec le temps» écrivait Jean de la Ville de Mirmont à sa mère en octobre 14.

 

Avec une plume limpide, élégante et classique,  l'auteur de ces horizons bleus poursuit dans les limbes de cette guerre inhumaine. Un très beau livre, vraiment !


Jean-Laurent Poli

 

Jérôme Garcin, Bleus Horizons, Gallimard, février 2013, 224 pages, 16,90 €


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