"Jugan", le grand art de Jérôme Leroy

La maturité d’un écrivain

 

On ne présente plus Jérôme Leroy, auteur des remarquables Le bloc et L’ange gardien, salués par la critique et par les amateurs de roman noir. Jérôme Leroy, à l’instar de Jean-Patrick Manchette ou de Pierre Siniac (et même de Maurice Dantec à une époque),  pose d’emblée la question du style dans son approche du roman noir et de l’intrigue. Pour raconter  une histoire, quel style, quels mots utiliser ? Beaucoup d’auteurs des littératures de genre, ne mettent pas ces questions au centre de leur démarche créative (et peu importe s’ils livrent de bons romans). Leroy, lui, a besoin de se poser ces questions pour créer. Jugan, on va le voir, est typique de cette démarche.

 

Se souvenir…

 

En vacances dans les Cyclades, ivre du farniente grec, le narrateur se remémore Noirbourg, sa première affectation comme enseignant. Au début du nouveau siècle, il enseigne au collège Barbey d’Aurevilly, face à des jeunes issus de l’immigration. Il y rencontre la CPE, Clotilde Mauruit, militante très engagée à gauche : dans sa jeunesse, elle a même été une proche du groupe terroriste Action Rouge. Et  a été très éprise du leader du groupe, Joël Jugan. Très bel homme, Jugan a, lors de sa capture, été défiguré par des policiers désireux de venger leurs collègues assassinés par Action Rouge. Jugan bénéficie d’une remise de peine et revient à Noirbourg où Clotilde lui a trouvé une place d’animateur dans une équipe d’aide aux devoirs des jeunes des quartiers. Malheureusement, Jugan croise la route d’Assia Rafa, belle jeune femme rapidement envoûtée par le magnétisme de l’ancien terroriste. Les choses se termineront mal…

 

Un romancier très actuel

 

Jugan brasse beaucoup de sujets. On retrouve des éléments tirés de l’histoire du groupe terroriste Action Directe et des commentaires sur l’intégration des populations d’origine immigrée des banlieues. La ville de Noirbourg, par son nom, évoque la Poisonville de La moisson rouge d’Hammett mais aussi la Bléville de Fatale de Manchette. Enfin, il y aussi la mémoire : tout part du narrateur qui se souvient. Jugan est comme une promenade empreinte de nostalgie et de mélancolie centrée autour de la figure satanique de l’ancien terroriste d’Action Rouge qui tisse sa toile pour attirer l’angélique Assia.

 

Jugan, c’est aussi tout ce qui fait le décor, tout ce qui est en arrière plan : la désindustrialisation, la mondialisation, le tête à queue idéologique de la gauche gouvernementale et le désastre total du communisme avec la chute du mur et l’effondrement de l’URSS. On sait Jérôme Leroy, collaborateur de Causeur, communiste convaincu. Pour autant, aucune complaisance chez lui pour Joël Jugan, révolutionnaire et surtout maître manipulateur qui n’a que peu d’intérêt envers les êtres humains (dont les femmes).

 

Jugan dissèque à la manière d’un chirurgien les non-dits et les cicatrices de notre société. C’est tout le talent de Jérôme Leroy qui est ici résumé : donc allez-y !

 

Sylvain Bonnet

 

Jérôme Leroy, Jugan, La table ronde, septembre 2015, 220 pages, 17 €

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