Vivonne sauvera le monde par la poésie

Ne l’ai-je pas dit cent fois : la poésie est l’ultime espace de liberté, la seule échappatoire à la médiocrité infantilisante qui s’abat sur nous depuis trente ans et qui arrive à son paroxysme ces derniers jours. Dans ce monde dément qui nie l’essence même de l’Homme, son Histoire, ses desseins, son avenir pour l’encager dans une pensée unique d’individus consommant sans réfléchir au collectif, à la culture millénaire, au peuple… la poésie permet l’enchantement, de s’échapper de cette décharge publique qu’est devenue la planète et de voler, tel Jonathan Livingston, vers des contrées douces et heureuses.

Jérôme Leroy nous embarque dans un futur très proche, en plein typhon s’abattant sur Paris et faisant des milliers de morts, aggravant une situation déjà bien compliquée puisque la guerre civile fait rage entre milices gauchistes, salafistes ou suprématistes tandis que l’État tente de garder la main sur certaines régions dont l’Île-de-France.
Alexandre est éditeur chez l’un des grands groupes du moment, et se retrouve bloqué dans son bureau de la rue de l’Odéon, l’eau monte et le pire est à craindre. Il s’amende et se souvient de son comportement inqualifiable envers un ami d’enfance, poète extraordinaire dont il saccagea la renommée en l’enterrant littéralement. Pris de remords, voyant une possible fin s’abattre sur lui plus tôt que prévue, il part à sa rencontre, mais Vivonne a disparu depuis des années… 

Cette dystopie qui, à mon avis, se réalisera, n’est pas le roman noir que certains voudraient dépeindre mais bien le livre d’un espoir infini, un livre magique qui redonne, au contraire, l’immense joie de vivre… autrement, différemment en oubliant le digital omniprésent ; d’ailleurs hier soir je me suis endormi en pensant aux écureuils qui viennent jouer devant mon bureau, et plus aux multiples turpitudes du monde de l’entreprise.
En cela, ce livre est à associer à celui de Sébastien Lapaque : ils œuvrent à ce que le monde soit plus beau, à ce que nous comprenions que la beauté du monde n’est pas dans le smartphone ni la voiture électrique mais bien hors des cités, dans la simplicité rurale, la nature, le contact amical avec les animaux : […] nous n’allions plus rien voir dans les décennies qui suivraient, nous allions de moins en moins éprouver la beauté immédiate du monde, nous serions d’éternels spectateurs de nos vies, condamnés à être connectés en permanence les uns aux autres dans un présent perpétuel jusqu’à la catastrophe en cours, inévitable, parce qu’à un moment  ou à un autre, le réel se venge d’avoir été réduit en esclavage par des algorithmes. 
Car nos dirigeants ne sont-ils pas aussi dingues que ceux de Leroy ? Quand on regarde combien la politique actuelle est sujette à variations dès qu’un hystérique poste un commentaire sur un réseau social, il n’y a plus de cap, tout part à vau-l’eau. Avec les Dingues, la politique était arrivée à son stade terminal de décomposition. Le principal combat de la ministre de la Culture consistait à débaptiser les rues et à déboulonner les statues qui ne lui plaisaient pas. 
Nous ne méritons plus de faire de beaux rêves, et nous savons pourquoi ! 

Alors fuir, mais où ? Sur la Lune ? Pas possible encore, donc ailleurs, loin et à commencer par sauver notre âme par la poésie. Ainsi celle de Vivonne s’inscrit-elle dans une tradition synesthésique qui n’est pas sans rappeler Baudelaire, dont il fut un lecteur assidu. Vivonne enveloppe son lecteur dans un halo d’impressions d’images, de sons, d’odeurs et de couleurs, sans oublier la musique des éléments, le vent notamment qui l’a hypnotisé enfant, et qui a bien failli lui coûter la vie. Nous voilà donc au cœur d’une révélation qui emportera dans son sillage nombre de lecteurs, d’autant plus que certains semblent avoir découvert un passage, une confirmation de la contraction du temps, une faille qui ouvrirait un accès vers cet ailleurs tant aimé, jadis ; au moment de défaillir, ils ouvrent un livre de Vivonne, se plongent dans la lecture d’un poème et ils disparaissent ; on ne retrouve que le livre…  

Ne serait-ce pas la preuve que la littérature peut tout, que l’œuvre est une seconde réalité ; on apprend mille fois plus d’un roman que dans la vie réelle… Seuls les idiots croient que la réalité apprend plus de choses que les romans. Les romans sont les Guides du Routard de l’existence. En mieux écrits et avec des personnages qui nous ressemblent, même s’ils ne nous plaisent pas, surtout s’ils ne nous plaisent pas. 
Vivonne imagine un monde de paix, une forme de société idéale qu’il appelle la Douceur, ce qui m’a rappelé mes rêves d’adolescent quand je dessinais à côté de ma mère, dans son cabinet, les plans d’architecture de mon domaine que j’avais baptisé le Sanctuaire, un havre de verdure et de paix. 

Porté par une écriture variée qui épouse les personnages et les propulse dans cet univers démentiel qui s’effondre, la poésie est présente aussi bien dans les descriptions, les scènes, les ambiances… on oublie très vite le carnage ambiant pour s’enivrer des idéaux de Vivonne et nager dans cette poésie universelle qui s’attache à pointer l’œil sur le détail qui caractérise tout : un grain de peau, un reflet du soleil, un tabouret de bar, un tableau oublié, un nuage… On ressort de cette épopée non pas essoré, par la force ou la violence de certains passages, mais en apesanteur avec le moral gonflé à bloc d’une espérance revenue d’une autre manière de voir la vie, car la Poésie est bien une idée qui avait toujours existé comme secret du temps et comme vérité du monde

 

François Xavier 

 

Jérôme Leroy, Vivonne, coll. Vermillon, La table ronde, janvier 2021, 416 p.-, 22 € 
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