Joan Didion, Le Bleu de la nuit : Affronter la perte

Après le récit de la perte de son mari dans L’année de la pensée magique, l’auteure revient avec ce nouveau récit sur la disparition de sa fille Quintana. Hommage qui prend une forme assez similaire au précédent rendu à son mari John. Des paragraphes un peu décousus mêlant les souvenirs d’enfance, ses propres ennuis de santé, le quotidien familial, les voyages et les aléas du métier d’écrivain. Le style est similaire à celui de L’année de la pensée magique et c’est ce qui agace dans un premier temps, une sorte de soupçon d’artificialité dans le traitement de la douleur et la route du deuil. Ce n’est que dans les dernières pages que l’on entre vraiment dans cette histoire éminemment intime. C’est peut être mieux ainsi d’ailleurs. Cette distance induite par le style de Joan Didion évite le rôle pénible de voyeur.

L’auteure aborde par petites touches son histoire familiale, les doutes liés à l’adoption, la difficulté d’affronter la perte des êtres aimés et la nécessité de poursuivre son périple vers cette heure bleue qui nous attend tous à un moment donné de notre parcours. Le tout forme une peinture impressionniste nuancée et dont les ombres permettent d’abriter les douleurs intimes inexplicables et impossibles à partager. Comme dans L’année de la pensée magique, une partie de son récit relate la difficulté de la relation avec le corps médical et l’incompréhension devant l’engrenage du pire. Sa propre santé déclinante qui raisonne comme autant d’échos aux drames vécus par John et Quintana.


Le style répétitif et les petits éclats de phrases comme autant d’incises dans la pierre noire de son chagrin reprennent un schéma déjà utilisé lors du récit de la mort de son mari. Cela peut sembler artificiel mais finalement correspond assez bien à sa philosophie de la perte, philosophie qui ne peut se mettre en place que dans l’expérience. Joan Didion expérimente méthodiquement le chagrin de la perte et parvient à en tirer une analyse claire, dénuée de pathos et remarquablement honnête, ouvrant sur des questionnements plus larges : son désir d’enfant et le projet d’adoption, la difficulté d’être parent, l’inquiétude devant cette relation parent/enfant fondamentalement différente et pourtant basée sur l’amour et le partage. Les petits moments qui remontent à la surface sont légers et tendres et posent en même temps la question tragique du temps qu’on oublie et qui passe inexorablement. L’écrivain parvient ici à rendre son expérience intime accessible sans sombrer dans l’exhibition de sa douleur.


Adeline Bronner


Joan Didion, Le Bleu de la nuit, traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Flammarion, janvier 2013, 240 pages, 18,60 €


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2 commentaires

Ce n'est pas chez Flammarion mais chez Grasset qu'il est paru. 

C'est corrigé. Merci à vous.