Quand Gaïa s’éveilla ou Le mystère Croatoan selon Somoza

Il s’en passe de drôles à Madrid, de nos jours : non pas que certains savants sont donnés pour fous afin de mieux les isoler de la vie civile, de piller leurs recherches et de les suicider afin que seul le silence demeure ; non pas qu’Europol intervienne dès que la situation d’une série de meurtres semble échapper à la police locale. Non, c’est bien plus grave que cela : c’est toute l’humanité qui risque de disparaître.

Comment ? Pourquoi ? Tout simplement parce que Gaïa notre Mère Nature vient d’enclencher un cycle particulier, un processus qui vise à rassembler tous les animaux de même espèces en des agglomérats gigantesques, aux formes hallucinantes, sorte de matière invertébrée dotée d’une force inouïe qui avance, se faisant fi des obstacles. Et qui happent les humains, les incorporant à sa masse, qu’ils marchent, rampent, sautent des fenêtres, s’éventrent, s’écorchent, sans bruit ni douleur ni fureur, seulement la puissance absolue d’un tout que rien ne semble pouvoir arrêter…
Gaïa passe en mode survie et fait fi de toute vie individuelle pour recréer un tout organique. Les gouvernements sont en panique totale, la fuite s’organise vers le Nord qui semble moins touché tandis des phénomènes similaires sont observés en Inde, en Australie, en Afrique.

Entre une équipe de mercenaires au service d’un commissaire de police envoyé de Bruxelles par Europol et une jeune scientifique projetée dans ce capharnaüm au bénéfice d’un mail surgit d’outre-tombe, envoyé par un scientifique officiellement déprimé mais au fait de ces phénomènes naturels, la course-poursuite contre la mort avec en ligne de mire la fameuse limite N dont tout semble dépendre, le lecteur est embarqué dans un périple haletant semé de découvertes scientifiques qui, parfois, donnent froid dans le dos.

Mais comme tout voyage extraordinaire, comme tout trip sous LSD (la solution pour échapper à la malédiction ?), c’est plutôt le voyage en lui-même qui est palpitant, l’arrivée devenant soudain plus terne ; et comme tout récit d’anticipation, le piège, le risque, la déception provient toujours d’une fin en queue de poisson, d’une fin qui n’en est pas une, soit par manque de cran, n’osant pas confirmer le carnage, assumer l’effroi suscité durant toute l’aventure ; soit par manque d’idée, d’enthousiasme et victime de cette sorte d’empathie stupide qui voudrait qu’il demeure un espoir, une sortie vers le haut, une raison de croire en l’Homme quand son bilan n’est qu’une suite de catastrophes préméditées !
On a connu José Carlos Somoza plus inspiré dans la dernière ligne droite, notamment avec L'Appât qui visitait beaucoup plus profondément la noirceur de l'âme humaine.

 

François Xavier

 

José Carlos Somoza, Le mystère Croatoan, traduit de l’espagnol par Marianne Million, Actes Sud, janvier 2018, 416 p. – 23 €

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