Nimbes et vie commune - Peter Gizzi

Avec Peter Gizzi, "les eaux lexicales raclent les caniveau" pour sculpter un monde à coup de remarques discrètes et de déplacements de lumière. Mais c'est ainsi que le monde et ses choses innomées s'animent. Des nénuphars en haillons blancs somnolent sur le lac et sous des piles de nuages. Lumière silencieuse sur leurs amarres dissimulées et grosses de rêve.
Le monde est en parades décalée.

Gizzi pomponne le bordel suranné des miasmes pour l'interpréter. Sous la barque de ses mots l'eau est plus sombre et épaisse. C'est une soupe où des yeux de bouillon surnagent en diadèmes et couronnes. Les ondes adolescentes les remuent à peine.

L'écriture crée un shoot devant tant d'étoiles déchues qui flottent et s'atomisent en couvre-pots. Sensation d'étain et d'étamine de rien. Le poète nous fait indigène où il reste du plaisir. Les mots repartent, leur fiction s'en lave les mains par ce qu'elle racle au fond de l'eau.
Nous nous faisons Jésus ou vestige en tendant de marcher sur ces plantes aquatiques.

Le poète tente de déchiffrer bien des appels en refusant de faire allégeance au réel tel qu'il est. Sans romantisme mais avec un travail baroque sur la langue. Elle devient un labyrinthe où se perdre soi-même comme les autres. Gizzi impose sa voix, son dictionnaire en écho à " la stridulation / ancestrale, ce bleuissement / créaturel du soir semble / carrément numérique, / tels des pois / au plafond".

Tout semble participer à notre monument de paroles : «Toutes les étoiles sont ici qui appartenaient à qu’importe qui parlait ». Encore faut-il en faire bon usage dans un monde qui ne les mérite pas, ne les mérite plus. Le tout ici dans une polyphonie qui semble jaillir en morceaux et moirures d'une chambre obscure.

Jean-Paul Gavard-Perret


Peter Gizzi, Archéophonies, traduit par Stéphane Bouquet, Éditions Corti, mars 2019, coll. "Série américaine", 88 p.-, 16 €

Aucun commentaire pour ce contenu.