Joseph Staline, Ma vie secrète. Mieux Paucard que jamais...

On connaît les biographies "non-autorisées". Ce sont les plus savoureuses. Plus fort encore, voici une autobiographie qui ne l'est assurément pas davantage. Celle de Iossif Vissarionovitch Djougachvili, alias Joseph Staline, Maréchal de son état. Autobiographie ? Voire. On en doit la publication à Alain Paucard. Il l'a, prétend-il, traduite et adaptée - à vrai dire, plutôt adaptée. De quoi surprendre ceux qui ignoraient jusqu'ici sa connaissance approfondie de la langue russe. Mais pas ses affinités électives avec le Petit Père des peuples, lui qui ne répugne pas au culte de la personnalité. Au point de se camper en Conducator autoproclamé des Ronchons (il les a fédérés en 1986 dans un Club toujours  florissant). Ni son goût pour la mystification.

 

Publiée en 1979 aux éditions René Baudoin, devenue introuvable, cette autobiographie resurgit donc dans la collection "Les Rares", chez Alexipharmaque. Heureuse exhumation. Sa genèse ? Conservée longtemps par le KGB, exfiltrée clandestinement en même temps que les écrits des dissidents, elle est parvenue, Dieu seul sait comment, entre les mains de Paucard. Telle est la version officielle, que l'on se gardera de mettre en doute tant le texte est criant de vérité.

 

Un texte à l'image de son héros. Excessif. Démesuré. Hilarant. Entre autres qualités éminentes, Staline, c'est bien connu, était doté d'un sens de l'humour dont auraient pu témoigner, en son temps, les pensionnaires du Goulag, les populations massivement déplacées et les prétendus comploteurs en blouse blanche. Sans compter quelques concurrents dûment éliminés avec le sourire. Conquérant aussi, celui-ci, sous les moustaches charmeuses.

 

Respectant comme il sied l'ordre chronologique, le récit commence à la naissance à Gori, en Georgie, du petit Joseph. Lequel manifeste très tôt un sens inné de la lutte des classes. "A neuf mois, raconte-t-il, je m'opposais vaillamment à la nourrice qui, sans respect pour les nouveau-nés, m'apportait un biberon trop froid ou brûlant." Il eût été dommage de laisser en friche de telles dispositions.

 

On passera sur les diverses étapes de sa vie, le séminaire où il est entré "simplement pour y apprendre à lire et à écrire", son irrésistible ascension dans la hiérarchie bolchevique, ses actions, ses écrits, son art de se débarrasser de rivaux encombrants pour parvenir au faîte de l'Etat. Le tout justifié par une dialectique éprouvée et une phraséologie qui préfigure et illustre l'art de la langue de bois dans toute sa splendeur.

 

L'auteur se fonde sur des faits avérés, des écrits, des témoignages. En quoi il fait oeuvre d'historien, avec les scrupules que cela suppose et le souci d'une documentation aussi exacte que possible. Sur la période, il a lu (en langue originelle ?...) tous les livres importants dont il cite des passages avec un à-propos jamais démenti. On sent bien que Staline le fascine - et il est vrai que cette personnalité hors du commun a de quoi retenir. Ambitieux. Cynique. Retors. Séducteur à ses heures. Redoutable stratège. D'une intelligence au-delà de la normale. Toutes les caractéristiques, en somme, de celui que son destin désigne pour exercer, bien entendu dans le seul souci du bonheur de son peuple, la fonction de dictateur.

 

Peu différent, dira-t-on, des dictateurs sécrétés ailleurs par d'autres régimes politiques ? Voire. A en croire son biographe (à l'en croire lui-même, si on décide d'adhérer à la fiction et de se fier au caractère prétendument apocryphe de cette autobiographie), chez lui, la vie privée interfère avec constance dans la vie publique. Et d'abord ses appétits sexuels. Eclectiques. Insatiables. Ceux d'un bouc lubrique (il n' y a pas que les vipères...) dont les pulsions commandent tout, y compris dans le domaine politique.

 

Une collusion qui avait échappé jusqu'ici à tous les commentateurs et sur laquelle cette autobiographie projette un éclairage déterminant. On se gardera de détailler toutes les occurrences où l'Homme d'acier (c'est la traduction littérale de Staline), honorant son surnom ainsi que ses conquêtes, fait montre d'une virilité hors du commun. Il n'est pourtant pas hasardeux d'avancer, à la lumière de ce livre, qu'elle a infléchi le cours de l'Histoire.

 

Bornons-nous à quelques scènes clés, révélatrices de la teneur de l'ensemble : la rivalité avec Trotski, incarnée par la belle Aliocha. La rencontre, irrésistible, avec Dolorès Ibarruri, la Pasionaria espagnole. Celle qui explique pourquoi Gide, amoureux éconduit, écrivit son Retour d'URSS dans lequel "il se plut à noircir tout ce qui l'avait précédemment enthousiasmé". Sans parler de la maîtresse polonaise qui passa successivement du lit de Staline à celui de De Gaulle.

 

Résumons-nous, comme disait Alexandre Vialatte : nous tenons là un document capital pour la compréhension du vingtième siècle. Il sera désormais difficile, sinon impossible, d'en narrer le déroulement pour le moins mouvementé, d'en comprendre les ressorts, sans tenir compte de cette autobiographie. Elle eût pu, sans Alain Paucard, finir dans les poubelles de l'Histoire. Grâces soient donc rendues à celui qui, sans hésiter devant l'usurpation d'identité, en est le révélateur.

 

Jacques Aboucaya

 

Joseph Staline, Ma vie secrète, traduit et adapté par Alain Paucard, Éditions Alexipharmaque, collection "Les Rares", octobre 2012, 84 pages, 14 euros.

1 commentaire

Excellente critique, merci beaucoup. Elle donne envie d'aller jeter un oeil à cet OLNI (objet littéraire non identifié, bien entendu).