Écrivain. Directeur éditorial du Salon littéraire.

Joseph Vebret, "Le Comte Léon, bâtard infernal de Napoléon" : controverse sur une naissance

Disons-le d’entrée de jeu : ce livre ne serait jamais paru il y a un demi-siècle et moins encore il y a un siècle. On verra plus bas pourquoi. Qui fut ce Léon-là ? Né en 1806 et mort en 1881, il passa à son époque – et se fit passer – pour un fils naturel de Napoléon, dont la mère était une certaine Éléonore Denuelle, lectrice de Caroline, une des sœurs de Napoléon. Les tests génétiques n’existant alors pas, les paroles servaient alors de caution de paternité et celles qui eurent le plus de poids en la circonstance se trouvaient dans le testament de Napoléon : il léguait à Léon une coquette somme et souhaitait qu’il entrât dans la magistrature. Cela valait reconnaissance officieuse.

 

Mais le « demi-Napoléon », comme on le surnommait, ne fut même pas reconnu par la famille comme un Bonaparte, fût-ce « de la main gauche ». Et pour cause : ceux qui étaient bien informés savaient qu’il était, en fait, né des œuvres du général Murat, amant de la même Denuelle ; la « lectrice de Caroline », en effet, était une sauteuse de haut vol. Et le titre de comte accolé à Léon était fictif. Dévoré de rancœur et d’ambition, couvert de dettes, celui-ci tomba alors dans la machinerie des intrigues et malhonnêtetés ordinaires que déclenche l’appât du lucre et auxquelles sa propre mère participa activement. Tous en avaient après le magot légué par l’Empereur. Léon tenta de se lancer dans la politique : hélas, son comportement d’agité, notamment à l’égard du futur Napoléon III, lui causa plus de tort que ses ennemis.

 

Joseph Vebret raconte avec verve et une foule d’anecdotes sinistres ou hilarantes la vie rocambolesque de celui qui était devenu « l’Aiglon des boulevards » et qui tourna à l’aventurier. Un petit chapitre de la Grande Histoire ? Non, bien plus que cela : négligée des historiens traditionnels qui, jusqu’à notre époque, n’en ont parlé que de façon évasive, en quelques lignes ou dans une note, l’existence du comte Léon jette, en effet, une lumière sulfureuse sur le Grand Homme.

 

Pour commencer, toute l’affaire évoque le sujet tabou de la sexualité de Napoléon. Nul n’aurait jamais osé l’aborder du temps où les études universitaires dominaient le domaine : il était attentatoire à la dignité de l’Empereur et partant, à la gloire de la France. Pourtant les faits sont là, et têtus : Napoléon a eu 55 maîtresses au moins, dont quelques-unes régulières (plus d’un an avec Marie Walewska) ; c’est une légion de bâtards qu’il aurait dû engendrer. Mais alors ? Comme le lui disait Joséphine, « Tu ne fais que de l’eau ». Sa paternité d’Alexandre Walewski est hautement improbable. Ne reste que l’Aiglon, présumé conçu quand son père avait 41 ans. Encore que…

 

Napoléon ne pouvait ignorer qu’il n’était pas le père du comte Léon : il a entretenu le doute pour servir son image. Léon, lui, s’obstina dans le mythe pour exalter sa propre image. Un mythe en engendra donc un autre. Ce fut bien tout ce qui fut engendré. Reste un livre soigneusement documenté et ahurissant.

 

Gerald Messadié

 

Joseph Vebret, Le Comte Léon, Bâtard infernal de Napoléon, Éditions du Moment, mai 2012, 225 p., 18, 50 €


NB - Joseph Vebret est directeur éditorial du Salon Littéraire.

12 commentaires

Un livre très intéressant!!!!   C'est mieux qu'un roman!  Mais j'ai une question pour Vous: à page 135 Vous parlez du dr O'Meara comme vivant encore en 1840, quand je sais qu'il était mort en 1836....  Voulez-vous m'expliquer ce mystère?
Merci beaucoup pour le livre et pour une gentille réponse.

Gianna Modena,  Rome

 

Merci pour vos compliments et votre lecture attentive.

C'est effectivement un livre d'écrivain et non un travail d'historien.
Le point que vous soulevez est intéressant.  le docteur O'Meara apparaît souvent dans la correspondance de Joseph Bonaparte et de Meneval. Est-ce celui de Sainte-Hélène, est-ce un autre ? Je vais vérifier.
Bien cordialement,
Joseph Vebret

alors là vous lancez un sujet spécieux: Napoléon était-il stérile, hypofertile? En tout cas, la ressemblance entre walewski et lui était plutôt frappante non?

De plus, jamais aucun spécialiste (sauf F.Masson, que je n'ai pas lu) n'a affirmé cela: ni Jean Tulard, ni Thierry Lentz...

Jean Tulard dans la revue "Napoléon 1er n°64 de mai-juin-juillet 2012", dit explicitement que le Comte Léon est le fils de Napoléon. Il ne fait référence à aucune stérilité. C'est Joséphine qui affirmait de Napoléon qu'il faisait "de l'eau", peut-être par vengeance au regard de ses nombreuses incartades...

Surtout que Joséphine était elle même stérile, à cause d'une ménopause précoce. D'après certains, Napoléon souffrait du syndrome adiposo génital d'où un sperme moins fertile mais pas forcément stérile en permanence. Bref, un sujet comme un autre mais affirmer, sur la foi d'une affirmation de Joséphine, que Napoléon était stérile, me paraît un peu court...

"L'anecdote, c'est la boutique à un sous de l'Histoire", Edmond et Jules de Goncourt

Je n'affirme pas que Napoléon était stérile,  je rapporte seulement des propos de Joséphine. En revanche, Joséphine qui a déjà deux enfants a intérêt à laisser croire à l'empereur qu'il ne peut pas avoir d'enfant : elle évite la répudiation. D'ailleurs, dès qu'il sera père, il engagera le processus qui conduira au divorce.

Je me trompe peut-être, mais je sens un décalage entre le livre, qui semble poser des questions - pourquoi pas -, et la chronique du livre qui donne dans la théorie du complot. Mais bon, de toute façon, un Napoléon couillu ou pas, ne changera sans doute rien au fait que la vérité est ailleurs. Et comme il ne nous reste que peu de temps à vivre... Au fait, quelqu'un sait-il à quelle heure est prévue la fin du monde, le 21 décembre prochain, svp ?

M. Vebret,

avez-vous vérifié le mystère du docteur O'Meara?

Je suis très intéressée.

Merci

J'ai beaucoup aimé votre livre. Merci de m'avoir fait découvir ce personnage, "né de l'ambition d'une soeur à faire divorcer son frère".

Bonjour M. Vebret,

J'ai trouvé une reponse dans l'article de Peter Hicks  "Qui était Barry O'Meara?"  en "Napoleonica. La Revue 2/2013 n.17" à la page 30.  Le Comte Léon avait été désagréable avec O'Meara et Joseph en 1835 à Londres;  en suite, en 1840 Joseph a refusé de le recevoir  (O'Meara était mort en 1836).

Voir  www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2013-2-page-75.htm