Les petites fenêtres de Lucien Henry

Faisant parler de lui autour de moi de temps à autre depuis belle lurette, voulant donc le lire, jamais je n'étais tombé dessus, ni lui entre mes mains, sur aucune foire aux livres, pas plus que chez les amis les plus sûrs côté bouquins : une arlésienne, vous dis-je, un fantôme dont des échos furtifs circulent et vous parviennent mais que vous ne voyez jamais apparaître !

Mais, ce matin, c'est chez Emmaüs, que ce petit livre carré, à la couverture de toile écrue ornée – si l'on peut employer cet adjectif en pareil cas ! – d'une façade de prison a, dès l'entrée, fait un clin d'œil à mon amie Grit posant le pied juste avant moi dans la première caverne aux livres : Ouvre-moi ! Ouvre-moi donc ! lui a-t-il lancé avec insistance.

Et voilà qu'elle, qui n'en avait jamais entendu parler, comme sous hypnose, me l'a tendu aussitôt, ouvert en offrande : Un livre pour toi, celui-là !
Pardi, c'était bien lui ; mon arlésienne, mais "en chair et en os" cette fois !

Il s'agit de Les petites fenêtres de Lucien Henry, écrit depuis la prison tout en y purgeant sa peine ? Non, victime (?) d'une condamnation pour atteintes aux bonnes mœurs. Les bonnes ou les mauvaises ? interroge à la fois gravement et malicieusement l'auteur.

                      Lucien Henry chez lui à Forcalquier, portrait par Patrick Box

Une fois arrivé a casa, j'en ai tout de suite lu d'un trait la moitié : d'entrée, une écriture de poète pleine d'images-aromates, d'enfance et de soleil haut-provençal comme je les aime : tout le contraire de l'univers concentrationnaire carcéral dont l'illustrateur André Beaurepaire fait le sombre portrait par facettes tandis qu'en ses pages Lulu (pour les intimes) plonge tout nu en lui-même, tantôt s'y racontant, tantôt s'y confessant, parfois en un mélange des deux, par exemple : C'était au lendemain de la crise de puberté qui vous rend pudique tout à coup. La toilette devient secrète ; les mots s'alourdissent de sens ; la nichée des petits lapins, une gêne, et la visite de la voisine, enceinte, vous fait fuir.

Pas d'apitoiement sur soi-même, pas d'excuses exprimées, pas de rancune non plus ; mais, en résumé courageux : Savoir de soi ce qui passe raison, le publier.

Et la dernière ligne, impressionnante, tout à fait à la  André de Richaud : Je resterais assis, des heures, à la porte de la prison, si l'on me libérait aujourd'hui.

Voici ce qu'en dit à sa parution son éditeur Robert Morel : En hommage aux prisonniers de toute espèce, nous avons publié le mois dernier, de l'un d'eux, Lucien Henry, son journal de prison : Les petites fenêtres, c'était un livre privé, pour des hommes de cœur.
Kanters dans Le Figaro littéraire, Weyergans dans La Croix, Pierre-Henri Simon dans Le Monde, Chavardès dans Signes du temps, La Sélection des libraires, etc, viennent d'en faire un livre public. Nous avons reçu de nombreuses lettres d'inconnus, d'assistantes sociales et d’aumôniers de prison.
Et une seule commande d'un seul libraire de province.

André Lombard

PS : c'est dans la maison de Lulu devenue musée que se tient actuellement, et ce jusqu'au 19 septembre, l'exposition de son ami peintre Serge Fiorio.

 

Lucien Henry, Les petites fenêtres, Robert Morel éditeur, 1966, 85 p-.

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