Jules Verne (1828-1905) est connu dans le monde entier pour ses romans d'aventure et de science-fiction.

L'île à hélice, cassandre des "ghettos de riches", par Jules Verne

l'île à hélice humanosUne fois encore, Jules Verne a l’art de nous émerveiller avec un roman d’anticipation mêlant machine fantastique (mais techniquement crédible quant à l’état de la science à l’heure de l’écriture du roman en 1895), découverte ethno-géographique et réflexion sur les sociétés humaines.


Les musiciens du Quatuor concertant, célèbre formation de chambre française attendue pour un spectacle qu’elle doit donner à San Diego, sont embarqués par la ruse sur l’île à hélice. Ce paradis flottant pour milliardaires, baptisé Standard Island, est une véritable prouesse technique, un gigantesque paquebot de vingt-sept kilomètres superficiels propulsé par deux centrales développant plus de dix millions de chevaux ! Comprenant deux ports et une campagne, l’île à hélice est organisée autour d’une ville, Milliard City, dont la population est composée, comme son nom le suggère, de milliardaires – et des employés nécessaires à son bon fonctionnement. Propriété de la Standard Island Company Limited, tous ses habitants sont locataires.


Une pléthore de personnages animent cette aventure riche d’enseignements et de rebondissements ; en voici quelques-uns : tout d’abord nos quatre musiciens : Frascolin et Yvernès, les deux violons, Pinchinat, l’alto surnommé son Altesse, toujours curieux de rencontrer d’authentiques cannibales, et Sébastien Zorn, violoncelliste et chef de la formation, sempiternel grincheux, pessimiste devant l’éternel. Ensuite, l’auteur du coup pendable fait aux Français, Calistus Munbar, grand argentier des festivités de Standard Island. Puis les deux principales familles de l’île, comprendre les deux plus riches, les Tankerdon et les Coverley. Milliard City est administrée par l’honorable Cyrus Bikerstaff, et l’île-navire est pilotée par le commodore Simcoë.


Standard Island, à la pointe des technologies modernes de cette fin du Dix-neuvième SiècleL'ile à hélice hetzel telles l’électricité ou le téléphone, effectue sur une année toujours la même rotation à travers le Pacifique, visitant Hawaï et la Polynésie, ce qui offre à Jules Verne le loisir de nous décrire par le menu l’histoire et les moeurs des peuples naturels, ainsi que les grandes explorations qui ont amené leur découverte à l’Occident, de Magellan à l’infortuné James Cook (s’appeler cuisine et terminer sa vie dévoré par des cannibales aux îles Sandwiches, si ce n’est pas ce qu’on appelle l’ironie du sort…). La ville de Milliard City est divisée en deux quartiers, pour ne pas dire en deux camps opposés : à Tribord (le nom du quartier), les catholiques, emmenés par la famille Coverley ; à Bâbord, les évangélistes, derrière les Tankerdon.  Voilà le décor planté.


L’île à hélice est le récit du plus important voyage de Standard Island, celui qui voit le paroxysme de la rivalité entre Coverley et Tankerdon, celui où l’amour entre en jeu, celui qui est émaillé d’incidents, collisions, sauvetages, invasions, trahisons… Comment la population de milliardaires va-t’elle réagir face à ces périls, tel est l’objet de cette passionnante aventure.


Une fois encore, nous pourrions qualifier Jules Verne de visionnaire. Plusieurs projets de paquebots géants inspirés par L’île à hélice (et par La ville flottante) sont à l’étude, notamment en Floride. Visionnaire aussi car, s’il a toujours existé des quartiers riches et des quartiers pauvres, il a pressenti la ghettoïsation volontaire des plus riches, telle que les États-Unis la connaissent aujourd’hui (l’Europe aussi, mais dans une moindre mesure). Jules Verne nous rappelle dans cette aventure hors norme que l’argent ne suffit pas au bonheur ; qu’une isolation, aussi hermétique soit-elle, ne protège pas de l’essence profonde de la nature humaine. Un grand roman à lire à l’adolescence pour l’aventure et la découverte ; à relire adulte pour l’aventure humaine et la croisière dans le Pacifique.


Philippe Rubempré


Jules Verne, L’île à hélice, Les Humanoïdes Associés, 1978, 324 pages.

De nombreuses autres éditions de prix variés existent.

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