Au château d'Argol : la musique de la langue de Julien Gracq

Argol    D’entrée de jeu le lecteur est saisi, conditionné, transporté par la musique de la langue gracquienne comme la branche jetée au fil de l’eau par le vent d’automne. De ce berceau mélodique naissent et s’épanouissent les personnages, le cadre, la nature, l’intrigue, le romanesque…



Au château d’Argol est le premier roman de Julien Gracq, publié en 1938. Écrit dans la veine surréaliste, il met en scène les relations complexes et ambigües entre Albert, Herminien et Heide. Albert a acheté le château – fantastique -  d’Argol, sis dans la lande bretonne, niché entre la mer déchainée et la puissante forêt de Storrvan, au coeur de cette terre de contes et de légendes propice à l’étrangeté diaphane du climat du récit. Il reçoit chez lui, à Argol, Herminien, son meilleur ami, accompagné de l’insaisissable Heide, toute de beauté et de mystère…


Deux Coqs vivaient en paix : une poule survint,

Et voilà la guerre allumée.


Qui mieux que La Fontaine pour exprimer en deux vers sublimes ce caractère propre aux relations humaines… La fascination exercée par Heide sur Albert sème le doute, et les liens entre les uns et les autres se tendent et se distendent dans un décors majestueux autant qu’oppressant. Jusqu’à une sinistre découverte…



Au château d’Argol est un roman d’atmosphère, un roman de la lumière mouvante, de la nature majestueuse, des éléments triomphants, du fantastique du décor. Le cadre y est tout à la fois sublime et étouffant, bruyant et silencieux. L’intrigue y parait presque secondaire, et pourtant elle lui doit toute son étrangeté diaphane. D’une plume mélomane et envoûtante, habité de Hegel et de Wagner, transcendé par la Bretagne magique, Julien Gracq signe un premier roman qui vous emporte dès la première ligne comme goélette dans une tempête au large de Sein.



Philippe Rubempré


Julien Gracq, Au château d’Argol, José Corti, 1938-2003, 182 pages, 15 euros

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