Julien Gracq en lui-même

Bernhild Boie qui publia dans la Bibliothèque de la Pléiade les œuvres de Gracq, a exhumé  parmi les fragments de prose conservés dans le fonds déposé à la Bibliothèque nationale des éléments qu'elle a rassemblés en quatre thèmes : "Chemins et rues", "Instants", "Lire", "Écrire" qui font écho aux "Lettrines" et aux "Carnets du grand chemin".

Tout l'esprit et la langue d'un auteur qui demeurera un petit maître des lettres de la seconde partie du XXe siècle sont là. Reste toujours la prégnance du Rivage des Syrtes et de La littérature à l'estomac. D'un côté le sceau d'une certaine intemporalité de l'autre un caractère de circonstance. Et les textes publiés aujourd'hui ne sont que des codicilles plus intéressants pour les fanatiques de l'œuvre que pour ceux qui sans forcément la bouder la perdent de vue tout en  profitant de cette occasion  pour en prendre des nouvelles.

S'y retrouve le sens "paysager" de Gracq. L'auteur décrit ce qui l'entoure avec une précision aussi maniaque que poétique à grands renforts d'images et comparaisons. On pense parfois forcément au Rivage et son aspect conte de fées. Existe là la recherche d'une magie mais que le style a tendance à écraser l'ensemble de tels morceaux choisis à force de maniérisme et parfois des réflexions plus ou moins surannées qui raviront un certain type d'écologistes bobos.

Gracq reste dans ce choix fidèle à son retrait. Il refuse l'ordinateur comme la promotion de ses livres. Et ce déphasage est plutôt sympathique sans compter sur son regard sur la littérature post-war. Cracq remarque que la guerre n'a rien changé.  La plupart des auteurs continuent leurs variations et durations sur des thématiques classique. Que le monde soit en voie d'implosion ne change rien à leur courte vue au moment où par ailleurs, selon l'auteur, la poésie s'enferme sur elle-même.

Très perplexe sur l'abandon des belles lettres au profit de "Boris Vian, Charlie Hebdo et les bandes dessinées dans l'éducation littéraire", il précise son goût pour Lautréamont, Colette, Proust. Existe chez eux un talent de grand rhétoriqueur ce qui n'est pas le cas de Ponge que Gracq met bien bas. Dès les années 70 pour lui cette expérimentation se décolore, se désarticule et s’en va.
Bref l'auteur reste critique sur la littérature de son temps et sa langue qui "pourrit" dans la salsa d'un certain professionnalisme des écrivains. Le devenir pour Grac c'est refuser de l'être. C'est pourquoi il se voulut toujours "amateur" zélé. Ce fut sa force mais aussi sa limite.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Julien Gracq, Nœuds de vie, avant-propos Bernhild Boie, José Corti, janvier 2021, 176 p.-, 18 €

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