Baltazar tiré à 4 épingles

Il suffit d’enfermer l’artiste dans sa case de prédilection ! L’époque est hors norme donc le vent libertaire de la création souffle fort, trop fort quand on regarde les maux véhiculés par l’art contemporain, aussi nous resterons sur des valeurs refuges, comme disent les économistes en évoquant les montagnes russes du CAC40. Et voilà que la Poste joue les cigognes en m’apportant le dernier-né de Julius Baltazar qui, pour une fois, n’est pas une œuvre peinte ni gravée mais… un livre. L’enfant terrible de Saint-Germain-des-Prés – dès l’âge de douze ans il fait l’école buissonnière, devient un pilier de la Galerie du Dragon (Roberto Matta, Wilfredo Lam, Cesare Peverelli lui montrent l'enlacement, l'espace, l'imaginaire, les éclats de lumière, l'entre-monde et Jorge Camacho lui offre sa première boîte de peinture pour mettre en pratique ses "cours" particuliers) puis s'amuse à suivre Max Ernst dans ses escapades, trinquant avec César, étudiant avec Zao Wou-Ki… pour finir dans le premier cercle de Dali qui lui donnera son nom d’artiste – ainsi le voilà intronisé dans le monde étourdissant de l’Art. Outre de célèbres peintures, une marée colorée sur la plus belle avenue du monde à la demande de l’Institut Charles de Gaulle à l’occasion du 50e anniversaire de la descente des Champs-Élysées, Julius Baltazar tenait aussi un carnet dans lequel il griffonnait non pas des croquis mais des esquisses de poèmes, des réflexions, des idées, toutes plus baroques et surréalistes les unes des autres, au point qu’à force d’inspiration et d’esprit d’escalier, de jeux de mots dignes de Tzara ou Ionesco, voilà notre peintre qui publie un premier livre, puis un second, etc. (À l’infini le sable, avec des ardoises de Raoul Ubac – Éditions Maeght, 1985 ; To be or not to much, avec des gravures de Bertrand Dorny – Éditions Laure Matarasso ; Permission de minuit, avec un frontispice de Roland Topor – Rougerie, 1933 ; L’imposture des rêves, avec des graphies de Jean Cortot – Éditions la Palinte, Montréal, 1996)
Depuis toujours Julius Baltazar écrit, une pirouette pour ne pas parler – enfant, un léger défaut d’articulation le rendait muet en public – voire, dans sa sensibilité innée d’artiste en devenir, pour sentir l’approche partielle, étape par étape, de la musique linguistique en miroir de ses premiers dessins, ceux inventés dans ses yeux brûlés de sel quand il se perdait dans la contemplation des marais salants et des jeux de lumière que le soleil intronisait sur la plage lorsque les contrastes s’affichait au passage d’un nuage où vers la fin de la journée… Les légendes poétiques s’invitaient dans son imagination ; les formes dansaient, chantaient, s’amusaient avec lui dans l’intimité d’un désir.
Hélas ne parle pas le moindre brin
en paille de film élastique le latin
qui me lie au bureau pour ce qui semble la vie
plutôt réfléchir au rapport avec la peinture
dans les écrits de Butor à ceux de Matisse et Aragon
Ne vous fiez pas aux enquêtes d’opinion
j’en connais encore qui tout en épilant leur chien
apprennent parfaitement l’autrichien
épousent une veuve italienne avec menteur à l’avant
comptent de nombreux accidents
lisent pléthore d’ouvrages dédits cassés
y perdent plumes et goudron
meurent par aile mangés tout crus

D’un naturel coquin, Baltazar manie les contrepèteries comme personne, brandissant la métaphore tel l’étendard matérialisé de ses rêves diurnes, jamais je n’ai rencontré homme qui dormait aussi bien éveillé. Enfant du surréalisme dans l’ombre de Dada, le voilà libertaire dans le combat du temps lent si cher à Kijno, ou de l’isolement personnel originaire, cultivant l’amitié au singulier. Il écrit une poésie de l’oralité qui doit se lire en catimini avec délicatesse tant le son donné par le mot n’est pas nécessairement le sens entendu mais bien le mot distordu pour que naisse la magie poétique. Ainsi il en va de l’image que l’on se fait au fil des vers défilés sous nos yeux ébahis de tant d’allégresse déployée pour nous pointer ce qui cloche…
Voilà notre chaman toujours tiré à quatre épingles, arborant cravate unique par lui peinte, coiffé avec un clou et l’œil pétillant, s’évertuant à piquer sur son mur des sons les images revisitées dans grands noms de l’art, ou plus simplement les dérives de l’Homme dénaturé.
Car il y a dans la beauté naturelle du monde quelque chose qui se cache, quelque chose que seule la poésie peut débusquer, car l’origine de la beauté est l’origine ! Ainsi, le peintre poète s’accapare-t-il tout pour grandir avec le temps, la langue, le corps, le désir. Un poète doit laisser des traces non des preuves, disait René Char. Voilà bien notre Baltazar doublement dans le vrai, lui le peintre poète, le poétintre.
À l’image de ses tableaux, le plan-foudre sidère, hypnotise, transporte le lecteur – ou le regardeur – vers un monde d’illusions grinçantes, de neige brûlante, de montres dégoulinantes… Julius Baltazar quête derrière l’ombre à tendre vers l’absolu qui ne serait, finalement, que cet unique sens à donner à notre vie…
De ses univers dévastés où explosent des feux d’artifice colorés, zébrés par les griffes de la nuit, le sort du monde dépend secrètement de ce qui a lieu ici-bas, calme bloc des jeux de l’esprit, dernière bravade possible au sein d’interdits s’invitant tous les jours.
Dieu craignant un ponch militaire
ferma les portes de ses ministères
vida tous les vestiaires
à Saint Pierre jeté la clé du sien…
De son ton sûr envoyé chez les mécaniciens-coiffeurs
tout un tas de brochures sur le cinéma
sur les lubies de Paris demanda
des devises de tous pays en petites coupures
en échange furent vaporisés
des parfums de sainteté
Tous étaient chauves au paradis
seul Dieu se collait une parodie de moustache
avait un petit air rigolard de Staline
de pop-star ignorant les prêches
Cancel culture versus Littérature française : non à l’écriture inclusive et à la négation de nos valeurs, de notre civilisation, de notre Histoire ! Julius Baltazar réplique aux attaques sournoises des progressistes décérébrés en appelant la mémoire, l’érudition, l’humour et la sagesse ancestrale pour nous donner à lire des petites merveilles ciselées au mot prêt, du sur-mesure.
Et qui d’autre que la librairie Auguste Blaizot, fondée en 1840 et dans la même famille depuis 1877, pour éditer cette poésie iconoclaste, française, qui procède d’un renversement, comme l’explique Pierre Brunel dans la préface d’une anthologie à venir, célébrant l’usage libre de fantaisistes dans sa fantaisie même quand unissant deux poètes et un peintre à la faveur de jeux de mots successifs, il lance à son lecteur l’invitation suivante :
Voyez comme Satie-Rilke Braque à son guidon
placez au plus haut le coq
que le voyons depuis Honfleur
au risque de lâcher des toiles
Et de conclure : Bien supérieurs aux débats sont assurément les éclats de cette magnifique poésie.
Et n'oubliez pas que lire nuit gravement à la... bêtise.
François Xavier
Julius Baltazar, Couteaux tirés à 4 épingles, Librairie Auguste Blaizot, 100 exemplaires non brochés numérotés et signés, avril 2021, 100 p.-, 70 €
Julius Baltazar, Couteaux tirés à 4 épingles, Librairie Auguste Blaizot, 45 exemplaires non brochés numérotés et signés, accompagnés d’une gravure originale en frontispice ainsi qu’un poème manuscrit, avril 2021, 100 p.-, 300 €
1 commentaire
un Baudelaire
un Delacroix
que chante le coq gaulois...
Chapeau bas à ce ménage heureux de la poésie, la peinture, et la critique litéraire et artistique!