Skidstain Halo, de Kevin Sweeney

« Skid », c'est « glisser ». « Stain », c'est une tache mais « skidstain », ensemble, c'est la trace de pneus dans le slibard. « Halo » ne pose pas de problème, c'est le même mot en français. Quid, en revanche, de « skidstain halo » ? Un « halo en trace(s) de pneus » ? En effet mais pour être plus exact, il vaut mieux rendre par « auréole en trace(s) de pneus ». Il s'agit bien d'une auréole témoignant de l'état de sainteté en dépit de l'usage, comment dire, oxymorique, de « skidstain » et de « halo ». C'est que, dans ce court roman, nous nous trouvons au Ciel, à ceci près que le Ciel n'est plus ce qu'il était.

Depuis que Satan a pris sa retraite, l'Enfer n'existe plus, tout le monde va au Ciel, même les pires salauds, même la tueuse en série Zinloos Geweld (qu'on peut comprendre comme « violence aveugle »), coupable d'un nombre hallucinant de meurtres au cours de son existence terrestre. Le problème du Ciel, en plus de sa décrépitude sans cesse croissante, c'est qu'on s'y ennuie ferme. Scott Sweeney reprend la célèbre aporie de Woody Allen (« L'éternité, c'est long, surtout vers la fin. ») mais la modifie de manière significative car dans son roman, l'éternité n'a pas de fin. Si la phrase d'Allen exprime au premier chef notre dépendance à la perception du temps comme avancée linéaire faite de succession, Sweeney, en somme, ne fait pas autre chose mais il ne fait pas que cela. Il développe aussi à outrance sa moquerie de nos représentations religieuses. Ce qui me semble révélateur, c'est une sorte d'insert que Sweeney ajoute à la fin de son livre, une fois l'intrigue terminée. Là, de manière très sobre, en un paragraphe assez bref, il montre (selon moi) qu'il n'est pas tant nihiliste (athée) qu'agnostique (il n'est pas fermé à la notion de transcendance). Cet ajout n'était peut-être pas indispensable car tout lecteur doté d'un minimum d'intelligence peut s'en rendre compte à la lecture de Skidstain Halo.

Il serait en effet trop simple de se contenter d'une approche superficielle de ce roman sous prétexte qu'il entre dans le registre bizarro et qu'en conséquence, il déploie des trésors de violence et d'obscénité surréalistes. Le Ciel est devenu un gigantesque ensemble de parcs à thème ; Zinloos, ne trouvant sa place nulle part, finit par choisir une arène à combats perpétuels entre équipes de tueurs, de monstres, de super-héros et super-vilains tous plus improbables les uns que les autres mais que Sweeney parvient magistralement à raccorder à notre pop culture. L'arène en question se nomme Skidstain. Dans un au-delà où les auréoles de saints et d'anges sont faites avec des matières recyclées (faute de mieux), les points engrangés lors d'un combat sont déterminés par la capacité à déféquer à l'intérieur de l'auréole portée par un adversaire qui, même mort, même radicalement atomisé, se reconstitue en quelques instants. Ces quelques indications permettent de comprendre que Sweeney pianote aussi très bien sur les univers que nous-mêmes ne cessons de vouloir substituer à une réalité soit insatisfaisante (échec des idéologies, refus de celles-ci), soit dirigiste (extrémismes, rejet des directeurs de conscience). Finalement, Skidstain Halo permet à Sweeney de passer la surmultipliée dans la caricature : c'est aussi un roman très drôle. Zinloos, dans cet univers de geeks, le nôtre, passera de l'informe (elle ne sait pas qui elle est, ce qu'elle est vraiment) à l'existence en pleine conscience d'elle-même. Pour dire ça autrement, elle découvrira son identité en surpassant des règles de vie et d'action tellement cristallisées par l'ennui qu'elles ont atteint l'absurde. Il n'est d'ailleurs pas inintéressant d'apprendre, à la fin du roman, où en est le Créateur, Dieu en personne, dans ces mondes au bout du rouleau.

Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas. Tout ce qui est en bas est comme tout ce qui est en haut mais nous avons perdu le sens des hiérarchies et des finalités. Heureusement qu'une implacable et sympathique tueuse nous invite à la fête. Pour ma part, c'est la première fois que je lis Kevin Sweeney et je suis curieux de découvrir le reste de sa production.

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