La Bibliothèque des instruments de musique « Comment faire entendre sa voix ? »

«  La pensée n’est pas soumise à la loi de la pesanteur, la plupart des souvenirs s’envolent. Seuls restent ceux auxquels on tient fermement. »


Second recueil de nouvelles coréennes contemporaines chez Decrescenzo éditeurs, dans la collection Micro-fictions : les histoires de la Bibliothèque des instruments de musique, comme son titre l’indique, se déroulent dans l’univers musical. L’auteur, Kim Jung-Hyuk, est un artiste aux multiples facettes : écrivain, illustrateur, photographe, DJ, journaliste. Son écriture, parfaitement maîtrisée, confère délicatesse et ironie à ses nouvelles. Tout au long du recueil, Kim Jung-hyuk emmène le lecteur dans une quête de l’identité à travers la critique d’une société coréenne conformiste.

«  Mais autour de moi, tout était calme, tranquille. Était-ce parce que je me déplaçais d’une ombre à l’autre ? »

La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, laisse à voir un jeune homme ayant frôlé la mort et qui, pris d’une angoisse existentielle, cherche à donner un sens à sa vie, refusant de « mourir anonyme ». Comme dans toutes ses fictions - à l’exception de la dernière, dans laquelle il emploie des pseudonymes - Kim Jung-hyuk utilise des initiales au lieu de noms complets pour nommer ses personnages, symboles de l'anonymat. Le héros sera finalement reconnu des amateurs de musique, mais pour une initiative absolument anticonformiste. La seconde histoire, B et moi, met en scène un guitariste qui, à force de jouer ne peut plus toucher une guitare sans voir ses doigts gonfler. Le héros vit de plus dans l’ombre, depuis qu’il a déclaré une allergie au soleil - métaphore évidente du refus ou de la peur de s’assumer. Un ami, guitariste comme lui, et l’exemple inattendu de Bob Dylan, l’aideront à trouver son propre chemin. D le décalé nous présente un homme incapable de chanter à l’unisson, alors qu’il rêve d’intégrer une chorale. Véritable héros de cette nouvelle, D le décalé, cherche sa voie autant que sa voix : il refuse le conformisme et les conventions. L’auteur traite ici de la difficulté de vivre dans l’indifférence et de la quête de réussite. Les maniaques du vinyle, enfin, est l’occasion de voir évoluer deux disc-jockeys passionnés de 33 tours et dont l’obsession pour ces disques pourrait se révéler plus dangereuse qu’imaginée. A part, ce texte n’aborde pas moins que les autres, avec un art consommé du suspense, le respect des normes et le choix donné à son personnage principal de s’y soustraire.

« En fin de compte, la vie n’est qu’une succession de circonstances : l’accident a fait émerger cette phrase, la phrase m’a conduit à l’alcoolisme, et l’alcool m’a permis de découvrir le magasin d’instruments de musique. La vie change au gré d’évènements sans lien apparent, comme un collier dont on enfile les perles. Continuez ce collier, n’est-ce pas ça le but de la vie ? »

Et de fait, quoi de mieux que la musique, avec ses codes, ses gammes et les courants qui la traversent, tous parfaitement identifiés et labellisés, pour aborder cette question ? Kim Jung-hyuk confronte la société coréenne au prix payé pour sa modernisation. Le jugement est inutile, le constat est là : l’individu a besoin d’appartenir au groupe, mais le groupe annihile son identité. Alors quelle issue ? L’auteur invite à assumer sa différence, partant de l’idée qu’avant d’espérer accepter l’autre, il est indispensable de commencer par s’accepter soi-même.

Discrètement empreint de bouddhisme, ce recueil va droit au but. Il touchera le lecteur, tout en lui permettant d’appréhender la société coréenne moderne, sans doute aussi désorientée que la nôtre aujourd’hui. A lire.

«  - Sur qu’il chante bien ! Mais le problème, c’est qu’il n’arrive pas à s’harmoniser avec les autres. Je me demande comment on arrive à vivre en société quand on est incapable de faire bon ménage avec le rythme et le diapason. Vous croyez pas ? Ha ! Ha ! Ha ! »


Glen Carrig

Kim Jung-hyuk, la Bibliothèque des instruments de musique, Decrescenzo éditeurs, traduit du coréen par Moon So-young, Lee Seung-shin, Hwang Ji-young, Lee Tae-yeon, Jeong Hyun-joo, Lee Goo-hyun, Aurélie Gaudillat octobre 2012, 126 pages, 15€
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