Damien Murith, La Lune assassinée : la fraîcheur d’un premier roman

La lecture d’un premier roman suscite toujours une excitation très particulière. La cause est-elle entendue dès les premières pages et va-t-on, une fois de plus, connaître la déception ? A l’inverse, l’incipit est-il assez piquant, offre-t-il assez de séduction pour que, renvoyée aux calendes toute autre occupation, fût-elle importante, on s’y plonge avec délices ? Il faut bien avouer que, le plus souvent, la première hypothèse est la bonne. L’oiseau, je veux dire le romancier dont on devine d’emblée le tempérament, l’originalité, devient de plus en plus rare. C’est dire qu’il y a lieu d’exulter lorsque se présente la seconde occurrence.

 

Exultons, donc. La publication de La Lune assassinée laisse augurer, pour Damien Murith, qui vit et enseigne dans le canton de Fribourg, en Suisse, un avenir radieux de romancier. Sa première tentative en la matière le différencie de la cohorte de ceux qui se mêlent d’écrire pour raconter des histoires. Et d’abord parce qu’il ne copie personne – ce qui est la meilleure façon d’échapper aux modes et de se situer dans la seule dimension qui vaille, celle de l’intemporel.

 

Son livre est sec, dans le meilleur sens du terme, à savoir dépourvu de ce pathos et de cette logorrhée auxquels succombent tant de débutants. Dépouillé jusqu’à l’os. Pas un gramme de trop. Composé de courtes séquences, parfois d’une ligne ou deux, autant de versets qui se répondent plus qu’ils ne s’enchaînent, et dont l’ensemble constitue une manière de tableau impressionniste.

 

 Il a pour cadre un village, ou une bourgade de campagne, et ses habitants. Des personnages banals, du monde de tous les jours. Sans rien d’héroïque. Incarnant cependant, chacun, un des visages d’un destin qui les dépasse, qui les meut et dont ils ne sauraient infléchir le cours. Le Fatum, l’Anankè des tragédies antiques.

 

Il y a Pierre, ouvrier dans la seule usine du village, et Césarine, sa femme. Il y a leur enfant et il y a la Garce. Et puis la Vieille, un peu sorcière, qui joue le rôle du coryphée chargé de commenter l’action – ou les événements imperceptibles qui en tiennent lieu. D’annoncer les nouvelles. Mauvaises, de préférence. Entre eux, Eros et Thanatos dansent leur sarabande à laquelle participe, omniprésente, la nature. Un personnage à part entière, non une simple toile de fond.

 

Elle conditionne, cette nature austère, évoquée ou décrite tout du long par de courtes notations, avec une poésie qui se défie du lyrisme, les sentiments et les humeurs.des protagonistes et des comparses, ouvriers qui tentent d’oublier à la taverne leur existence de sous-hommes, femmes dont la vie est tout aussi rude et routinière. Un panthéisme qui fait penser à Giono, mais sans l’effervescence, le bouillonnement de la Trilogie de Pan. Comme si la sensualité acquérait une force plus grande à n’être que suggérée. De cette parenté, témoignent ces phrases que l’auteur de Colline  et de Regain n’eût pas désavouées : « Un instant l’hiver s’en est allé. On a senti quelque chose frétiller dans le fond de l’air. On a vu la lumière soudain prendre les couleurs du blé, quand le soleil de juillet les roussit. »

 

Tout le roman est de la même veine. Il se déroule en plusieurs actes dont l’ensemble constituerait, autrement agencé, la matière d’une longue nouvelle. Autant dire que l’auteur a adapté son texte à la lenteur des jours tels qu’on les vit à la campagne, loin de l’agitation urbaine. Il nous les fait savourer. On les déguste à petites lampées, comme l’eau fraîche des torrents. Et on en sort revigoré, en se disant qu’ils ont tort, ceux qui prédisent aujourd’hui la mort de la littérature.

 

Jacques Aboucaya

 

Damien Murith, La Lune assassinée, Éditions L’Âge d’Homme, octobre 2013, 110 pages, 16 €. 

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