Nelly Kaplan, pirate et cinéaste

Dans la famille Kaplan, il y a George, que tous les amateurs d’Alfred Hitchcock et de La Mort aux trousses connaissent. C’est le cousin d’Amérique.


Et puis il y a Nelly que l’on a un peu tendance à oublier ce qui est regrettable.


Car si cette dame a commis relativement peu de films, elle est au moins l’auteur de La fiancée du pirate qui, à son époque (1969, c’était hier), révéla pleinement Bernadette Lafont et secoua un cinéma français qui avait tendance à s’endormir et à répéter inlassablement les mêmes œuvres dans le style pesant de la Nouvelle Vague. Cette Fiancée mettait en scène une jeune effrontée qui s’amusait avec les hommes dans une débauche de sensualité, de désinvolture et d’humour. Polisson sans être grivois, dérangeant sans être révolutionnaire. Un personnage, finalement, assez proche de Nelly Kaplan qui a toujours prôné un grand appétit de vivre et défendu sa notion de liberté.


Cette même Nelly coécrivit également Il faut vivre dangereusement qui se situe à la frontière de la parodie du polar et se révèle très réjouissant (à voir et à revoir !).


En 2002, les éditions Dreamland lui consacraient un livre (dont la photo de couverture était identique à celui-ci) justement intitulé Portrait d’une flibustière. Aujourd’hui, Nelly propose son autobiographie où elle fait toujours montre de son indépendance et de son refus de respecter les règles. Autant de qualités qui méritent le respect.


Car elle s’y livre à sa manière. Ne racontant que les anecdotes qui l’intéressent ou l’amusent et refusant de se plier à la fausse confession qui consiste à narrer année après année un parcours forcément exemplaire. Nelly est capable de sauter d’une époque à une autre, de passer du coq à l’âne. C’est réjouissant, c’est plein de fraicheur même si cela se révèle, parfois, un peu confus.

Ainsi parle-t-elle de son enfance en Argentine (elle a pour point commun avec Bernard Blier d’être née à Buenos Aires !), de son arrivée en France, pays qu’elle ne connaissait absolument pas, et, bien sûr, de ses nombreuses rencontres.


L’une d’elles, peut-être la principale, la plaça face à Abel Gance dont elle devint l’assistante. Une assistante très proche d’où des relations compliquées avec le réalisateur de Napoléon qui se révéla d’un tempérament jaloux.


Car, ce qui est rare dans une autobiographie, Nelly n’hésite pas à parler de sa riche et tumultueuse vie amoureuse (sans donner, hélas, suffisamment de noms !). Ce fut sa manière de dévorer les plaisirs du quotidien et de profiter de sa liberté. Indifférente aux ragots, voire aux conséquences, elle sut mettre à profit chacune de ses rencontres voire les provoquer. Dès lors le titre Entrez c’est ouvert ! peut être lu à plusieurs niveaux…


Bien sûr, Nelly raconte aussi son cinéma. Choisissant encore et toujours les éléments qu’elle décide de dévoiler. Elle peut aussi bien s’étendre sur un tournage que l’expédier en quelques lignes. Tel est son choix, tel est son mode de fonctionnement.


Les purs cinéphiles seront peut-être un peu déçus mais les amateurs de Nelly Kaplan (j’espère qu’il en reste !) seront comblés, de même ceux qui aiment aborder le septième art sans en faire objet de vénération. Nelly démontre qu’il s’agit d’un métier à aborder avec passion mais aussi beaucoup de courage et de clairvoyance.


Entrez c’est ouvert ! se classe résolument à part dans le bourbier des livres sur le cinéma. Il faut rendre grâce à Nelly de son éternelle jeunesse (elle a 85 ans quand même). Cette belle grande femme n’a pas fait que tourner des films, elle a aussi fait tourner des têtes. Aujourd’hui, grâce à elle, on tourne des pages…



Philippe Durant


Nelly Kaplan, Entrez, c'est ouvert !L’Age d’Homme, juin 2016, 341 pages, 23 €

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