Mitterrand entre Cagoule et Francisque (1935-1945)

Consciencieusement gommées ou lissées dans ses biographies officielles, car il fallait présenter le portrait de l'homme de gauche irréprochable, mais redécouvertes au hasard de l'Affaire Bousquet, les années noires de François Mitterrand sont épluchées avec grand soin mais sans colère ou revanche sur l'homme, pour lequel il signale son admiration, mais en historien, pour effacer les portraits des mitterrandolâtres qui ont dressé une statut mensongère de leur commandeur. 

Deux définition : 

Cagoule
le Comité Secret d'Action Révolutionnaire (CSAR) est le principal groupe d'extrême droite actif dans les années 30. Ses figures notoires sont Eugène Deloncle (le dirigeant) et  Jean Filliol (l'exécuteur des basses oeuvres). La "Cagoule" est un surnom péjoratif donné à ce mouvement par les royalistes maurassiens pour les signaler comme terroristes et s'en distancier. La Cagoule est terroriste, violent, criminel, insurrectionnel et fasciste. 

Francisque
L'ordre de la Francisque gallique est une décoration qui fut attribuée par le Régime de Vichy en tant que marque spéciale d'estime du maréchal Pétain.
On pourra comprendre que l'obtention de cet insigne n'est pas anodin : il fallait une demande, des parrains, présenter des garanties morales incontestées, etc. Et prêter ce serment : "Je fais don de ma personne au Maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. Je m'engage à servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre". 

Que vient faire dans ce décor très marqué à droit le Président de la gauche réunifiée, celui qui accusait De Gaule dans son Coup d'Etat permanent pour faire exactement la même chose une fois au pouvoir, celui qui devint libéral contre ses électeurs dès 1983... Le lien se fait par un homme, André Bettencourt (1919-2007), l'homme de presse et de politique, surtout connu pour avoir dirigé L'Oréal à la suite de "choses douteuses" : son témoignage aurait suffit à démentir les attaques pour Collaboration portées contre Eugène Schueller, lequel donne à son ami et politique en vue la main de sa fille unique Liliane. Or Eugène Schueller est non seulement le principal financier de la Cagoule, mais il est un ami de Mitterrand, à qui il offre un poste dans la presse (la direction du magazine Votre Beauté en 1945). Cet entre-soin, s'il ne condamne par Mitterrand, le met dans un environnement peu marqué à gauche... 

Que Mitterrand écrive dans des revues pétainistes (France, revue de l'Etat nouveau) et qu'il ait été de l'environnement immédiat de Bousquet, ne l'empêche pas de se rapprocher en 1943 du réseau Combat et, grâce à Pierre Fresnay, de passer de l'autre côté au moment opportun : l'art du politique roué s'illustre là, ne pas être au mauvais endroit au mauvais moment... 

Fouillant les archives, retrouvant les témoins "oubliés" et faisant un travail d'historien hors pair, François Gerber a le courage de regarder l'histoire d'un homme dans sa face cachée et noue les fils qui relient François Mitterrand à la mouvance de l'extrême droite des années 30, celle qui était activiste et violente : ses amitiés réelles (avec le terrible Bouvyer, homme de main fasciné par Filliol) ou politiques,  marquant une réelle affinité d'homme ou un arrivisme déjà marqué, loin encore d'en faire le porteur des valeurs de la "gauche" qui fut élu en 1981. Mitterrand entre Cagoule et Francisque (1935-1945) pose des pierres essentielles pour la "vérité" du personnage complexe et secret que fut François Mitterrand, réclamant qu'on ne passe pas sous silence ce moment important de sa vie pour n'en voir que la fin. 

Loïc Di Stefano

François Gerber, Mitterrand entre Cagoule et Francisque (1935-1945), L'Archipel, septembre 2016, 418 pages, cahier photos 8 pages, 22 eur

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