Le Sourire de Gary Cooper

Gallimard (plus exactement une de ses officines, L’Arpenteur) m’a envoyé un roman. Je ne lis pas de roman. Oui mais c’est Gallimard quand même. Pour une fois que cette grande dame s’intéresse à moi, qu’elle m’estime digne de jauger ses ouvrages, je ne vais pas faire la fine bouche. C’est un peu comme si vous entriez dans un bal hautement fréquenté et que la plus belle femme (ou le plus bel homme) de la place vous gratifie d’un sourire. Vous vous sentez flatté. Et puis l’auteure s’est fendue d’une dédicace. Bon d’accord, elle s’est un peu vautrée sur mon patronyme. Constatant que mon foutu nom se termine par un t et non un d, elle a l’a sauvagement caviardé, n’ayant aucune envie de tout recommencer. Résultat : ça fait un gros pâté. Mais aucune importance, je m’en contrefiche. La preuve : j’en parle à peine !

Donc prenant mon courage à deux mains, j’ai plongé dans ce roman. Avec d’autant plus de facilité qu’il n’est pas épais. Si Gallimard m’avait expédiés l’intégrale des Misérables j’aurais peut-être hésité. Sauf si Victor Hugo m’avait honoré d’une dédicace. Même avec un gros pâté.
Le Sourire de Gary Cooper. Ah, très bien ! Donc on va parler de Gary Cooper ? Non. On va parler de Clara Bow. À ne pas confondre avec Lava Bow, une lointaine cousine.

Là je dis halte. Pause. Parenthèses. Explications. Qui connait encore Clara Bow de nos jours ? Et qui même s’est souvenu d’elle au cours des trois dernières décennies ? Personnellement je me suis intéressé à elle lorsque je commis Les séductrices du cinéma (non ce n’est pas de l’autopromotion, le livre date de 1989 et, à moins de braquer la bibliothèque de votre grand-mère, vous ne risquez pas de le trouver). Donc, petite séance explicative.

Née dans la misère et dans une Amérique en voie de dépression, Clara Bow dut son envolée à un concours. Qu’elle gagna. Ce qui lui valut de faire ses premiers pas au cinéma dès 1922. Et de grimper assez vite les échelons. 49 films en huit ans. Mais attention : l’essentiel durant la période du muet. Ça change tout. Son plus grand succès fut It (1927) qui lui valut le surnom de "The It Girl", un personnage un peu déluré, menant sa vie à sa guise. Clara Bow inspira d’ailleurs l’animée Betty Boop. Le parlant lui fut fatal. Certes, elle fit encore quelques films mais son accent faubourien et sa voix nasillarde passèrent mal. À l’âge de 28 ans, Clara prit sa retraite cinématographique.

Ça c’est pour le côté face. Parce que la côté pile c’est une autre rengaine. La légende veut que Clara Bow fut une grande consommatrice d’hommes (et probablement de femmes). Ligues de vertu, censeurs, moralisateurs de tout poil s’époumonèrent contre elle dans une Amérique subitement redevenue puritaine. Clara n’en eut cure. Jusqu’en 1930, date à laquelle sa bienveillante secrétaire balança tout, mélangeant mensonges et ragots, accusant son ex-employeuse de week-ends de débauche pour ne pas dire d’orgie… Clara Bow s’éteignit dans la plus totale indifférence le 27 septembre 1965.
Fin de la parenthèse.

Sophie Pujas a donc décidé de combler cet oubli en s’intéressant de très près à Clara. Elle raconte son parcours, l’érigeant plus en victime qu’en croqueuse de mâles. Clairement, elle prend sa défense tout au long de ces pages dressant un portrait dont il est difficile de dire s’il est juste ou totalement inventé. Mais n’oublions pas que c’est un roman. Nul ne nous précise où la fiction écrase la réalité. Personnellement j’aurais plutôt appelé cela un essai. Dans lequel l’auteure se confesse, quitte à se mettre parfois à la place de son sujet.
Explication de texte :
"Pourquoi parler de Clara ? Pourquoi recueillir au creux de mes lignes cette enfant butée et impudente ? Traquer cette silhouette plutôt que d’autres, plus mystérieuses, plus chanceuses dans leurs choix et plus douées peut-être ?
Parce qu’avec ses faibles moyens – l’insolence, la beauté -, et sans y songer, Clara s’est battue pour que ma vie soit douce, je veux dire pour que les femmes choisissent leur place dans le monde."


Voilà tout est dit. Et bien dit. Clara Bow entre Jeanne d’Arc et mère Courage. Elle aurait été contente d’apprendre ça.
Donc derrière la biographie se cache une ode à une femme libre qui paya cher cette liberté. Soit.
Au moins, ce livre permet de mieux connaitre le parcours de Bow.

Mais pourquoi Gary Cooper me demanderez-vous ? Si, si, vous alliez me le demander. Parce que ce brave Gary – que je n’ai jamais vraiment apprécié mais tel n’est pas le propos – figura parmi les amants de Clara (elle l’imposa sur l’écran alors qu’il n’était qu’un débutant) et qu’il semble avoir compté dans sa vie.
Donc, tel le chat du Cheshire, Gary éclaire ces pages de son énigmatique sourire.

Philippe Durant

Sophie Pujas, Le Sourire de Gary Cooper, L’Arpenteur, mars 2017,  109 p.-, 11,50 euros

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