Moscou comme terre d’apocalypse : "Sumerki" de Dmitry Glukhovsky
Dmitry Alexeïevitch, protagoniste de Sumerki (notons au passage qu’il s’agit aussi du prénom et du patronyme de l’auteur) est un traducteur vivant seul et légèrement asocial, qui se voit confier la traduction d’un vieux manuscrit espagnol datant du XVIème siècle et de la conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols. Il s’agit du récit d’un conquistador parti en expédition à travers le Yukatan pour récupérer des manuscrits mayas. Plus le traducteur progresse dans son labeur, plus les événements catastrophiques s’enchaînent : le gérant de l’agence de traduction qui l’emploie est assassiné, sa voisine aussi, des catastrophes naturelles secouent la planète tandis que Moscou est secouée par des tremblements de terre de plus en plus violents… Balançant entre terreur et superstition, Dmitry Alexeïevitch subit les événements auxquels il finit néanmoins par trouver une causalité… qui n’est pas celle que l’on croit.
Évidemment,
l’irruption des Mayas dans le récit laissait attendre le pire – surtout sachant
que le livre a été écrit en 2007, soit cinq ans avant la fin du monde
programmée par les Mayas (en 2012). Le lecteur redoute d’abord d’avoir affaire
à ce genre d’apocalypse à base de mystique aztéco-maya, pourtant il comprend
très vite, à son grand soulagement, qu’il n’en est rien. Certes, Sumerki relève de ce genre d’œuvres qui
reposent sur une idée astucieuse (que je ne dévoilerai pas pour ne pas gâcher
le plaisir du lecteur) et qui peinent à dépasser l’astuce, mais en même temps,
le livre de Dmitry Glukhovsky présente au moins deux qualités qui méritent le
détour.
L’auteur montre en effet un grand talent à bâtir, à partir de la
réalité la plus quotidienne, des tableaux fantastiques mêlant poésie et
étrangeté. Sous sa plume, Moscou, et plus largement le monde contemporain, avec
certains de leurs éléments emblématiques – le mausolée de Lénine, par exemple,
ou le concours de miss Univers, les tsunamis… – se dotent d’une symbolique
originale, que là encore nous ne dévoilerons pas, pour ménager le plaisir du
lecteur.
D’autre part, la langue de Dmitry Glukhovsky, le plus souvent rendue dans un français très élégant par Denis E. Savine, est riche d’images – des comparaisons surtout –, elles aussi des plus originales, qui, entrant en résonance les unes avec les autres et avec le contenu du récit, donnent épaisseur et consistance à l’univers ainsi construit et permettent ainsi au livre de proposer, outre une intrigue captivante, une lecture du monde contemporain.
Dmitry Glukhovsky, Sumerki, traduit du russe par Denis E. Savine, L’Atalante, avril 2014, 381 pages, 21,00 €
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