Moscou comme terre d’apocalypse : "Sumerki" de Dmitry Glukhovsky

 

L’Atalante publie avec Sumerki un troisième roman de Dmitry Glukhovsky, après Métro 2033 et Métro 2034, même si cette œuvre a été écrite entre les deux précédentes, qui ont apporté à leur auteur la renommée que l’on sait, avec en outre leur déclinaison sous forme de jeux vidéo. Le monde mis en place dans Sumerki n’a rien du futurisme des Métro et sa trame est en apparence assez différente de leur intrigue post-apocalyptique à base de combats et de sauvetage de l’humanité.

   Dmitry Alexeïevitch, protagoniste de Sumerki (notons au passage qu’il s’agit aussi du prénom et du patronyme de l’auteur) est un traducteur vivant seul et légèrement asocial, qui se voit confier la traduction d’un vieux manuscrit espagnol datant du XVIème siècle et de la conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols. Il s’agit du récit d’un conquistador parti en expédition à travers le Yukatan pour récupérer des manuscrits mayas. Plus le traducteur progresse dans son labeur, plus les événements catastrophiques s’enchaînent : le gérant de l’agence de traduction qui l’emploie est assassiné, sa voisine aussi, des catastrophes naturelles secouent la planète tandis que Moscou est secouée par des tremblements de terre de plus en plus violents… Balançant entre terreur et superstition, Dmitry Alexeïevitch subit les événements auxquels il finit néanmoins par trouver une causalité… qui n’est pas celle que l’on croit.

    Évidemment, l’irruption des Mayas dans le récit laissait attendre le pire – surtout sachant que le livre a été écrit en 2007, soit cinq ans avant la fin du monde programmée par les Mayas (en 2012). Le lecteur redoute d’abord d’avoir affaire à ce genre d’apocalypse à base de mystique aztéco-maya, pourtant il comprend très vite, à son grand soulagement, qu’il n’en est rien. Certes, Sumerki relève de ce genre d’œuvres qui reposent sur une idée astucieuse (que je ne dévoilerai pas pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur) et qui peinent à dépasser l’astuce, mais en même temps, le livre de Dmitry Glukhovsky présente au moins deux qualités qui méritent le détour.

     L’auteur montre en effet un grand talent à bâtir, à partir de la réalité la plus quotidienne, des tableaux fantastiques mêlant poésie et étrangeté. Sous sa plume, Moscou, et plus largement le monde contemporain, avec certains de leurs éléments emblématiques – le mausolée de Lénine, par exemple, ou le concours de miss Univers, les tsunamis… – se dotent d’une symbolique originale, que là encore nous ne dévoilerons pas, pour ménager le plaisir du lecteur.

   D’autre part, la langue de Dmitry Glukhovsky, le plus souvent rendue dans un français très élégant par Denis E. Savine, est riche d’images – des comparaisons surtout –, elles aussi des plus originales, qui, entrant en résonance les unes avec les autres et avec le contenu du récit, donnent épaisseur et consistance à l’univers ainsi construit et permettent ainsi au livre de proposer, outre une intrigue captivante, une lecture du monde contemporain.

 

Dmitry Glukhovsky, Sumerki, traduit du russe par Denis E. Savine, L’Atalante, avril 2014, 381 pages, 21,00
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