Tal Coat : le lieu seul est un parcours

2017 année Tal Coat ?
Sans aucun doute, avec le début des festivités par le colloque Tal Coat, regard sans frontières au CICC de Cerisy-la-Salle (31 mai au 4 juin). Depuis le 2 juin se tient l’exposition du musée Quesnel-Morinière de Coutances, puis le 25 s’est ouverte celle du domaine de Kerguéhennec consacrée à Tal Coat et la Préhistoire, suivie de celle du Centre d’arts plastiques de Royan qui ouvre le 1er juillet. Cela se poursuivra par un parallèle entre le poète André du Bouchet et Pierre Tal Coat à la médiathèque d’Uzès, et la grande rétrospective du musée Granet d’Aix-en-Provence suivie de la reprise de l’exposition d’Uzès à la Fondation Saint-John Perse à Aix-en-Provence.
Un film de l’artiste hongrois Illés Sarkantyu sortit en avril grâce au Centre Tal Coat du domaine de Kerguéhennec.

Pierre Jacob est né le 12 décembre 1905 à Clohars-Carnoët, dans le sud du Finistère, d’un père marin-pêcheur, tué à la guerre en 1915, et d’une mère paysanne. Il apprend le métier de forgeron et commence à dessiner et modeler la terre glaise. Devenu peintre céramiste à la faïencerie de Quimper, il fréquente les artistes installés dans la région.
En 1924 il vient à Paris. En 1927, il prend le nom de Tal Coat ("front de bois" en breton) lors de sa première exposition à la galerie Fabre qui a un grand succès. Il entreprend ses recherches sur la technique picturale, les supports, les liants et les pigments.
La Bretagne et les éléments naturels vont tenir une place importante dans son œuvre : le contexte gaélique, la pierre et la forêt, l'âme celte, constituent les racines de son inspiration.
Les années 40, après sa démobilisation, l’amènent dans la région d’Aix-en-Provence. Dans les années 1950, il s’éloigne de la figuration.

En mars 1976 s’est tenue la rétrospective Pierre Tal Coat, au Grand Palais, avec un accrochage inhabituel composé par André du Bouchet : le grand public pouvait alors savourer les tableaux de ce peintre solitaire et souvent incompris car obsédé par ce basculement hors du tableau pour rejoindre le monde.
Un an plus tard, Jean-Pascal Léger est allé enregistrer le peintre dans son atelier de Dormont, non loin de la vallée de la Seine et de Giverny. Le jeune éditeur, formé dans les livres de Jean-Jacques Rousseau et Stéphane Mallarmé, s'est trouvé au milieu de plus de mille tableaux en travail... L'immense atelier, bordé par une verrière orientée au sud, se muait en caverne par temps plombé ou la nuit venue, loin du labyrinthe éclairé de soleil... Tal Coat vivait sa grande mutation dans le silence, broyant ses couleurs lui-même, alchimiste de ses désirs.

J’ai toujours tenté un espace ouvert, ma peinture a toujours été une tentative d’ouverture. Je crois que c’est bien ce qu’il y a de fondamental dans ce que j’ai tenté de faire et que c’est l’essentielle différence avec les autres.

Il décède le 11 juin 1985.
 

En ouvrant cet ouvrage, vous allez vous embarquer en poésie dès la première page : bien calé dans votre fauteuil vous avez quinze clichés en noir et blanc qui vous plongent dans l’univers onirique de Tal Coat pour vous faire sentir combien le voyage sera léger, périple en apesanteur dans cette peinture qui est sensation plus que matière…
En effet, Pierre Tal Coat n’est pas un peintre de concept qui s’embarrasse du monde des idées : il cherche le contact intime avec le monde. Dès l’origine, il aura saisi que tout se passe dans l’espace, cet élément majeur, qui le relie à ses origines celtes. Ainsi l’attrait du matériau brut mais aussi d’un ressenti au-delà de la forme pour mieux éprouver le vertige.
Pour lui, l’émotion provient du jeu de l’ombre et de la lumière, des phénomènes en mouvance perpétuelle qui déclenchent des pulsions créatrices, dessins, peintures… des milliers de croquis et de tableaux pullulent dans son immense atelier en bordure de la forêt.

 

La peinture usuelle ne peut s’exprimer que par des rapports colorés et tenue par des lignes. Il n’y a jamais de fond ni de surface en réalité.

 

 

Tal Coat n’a rien d’un peinture usuel ! Il caresse le temps, laboure sa peinture, assume ce travail manuel d’honnête artisan qui ne peint pas des signes mais des émotions. C’est un poète dans l’âme, n’a-t-il pas a dit un jour qu'il aurait pu, comme un homme simple ou comme un sage taoïste, vivre "les pieds nus dans le sable, à regarder voler les oiseaux" ?
On retrouve, en effet, le motif du vol des oiseaux au sens propre dans de nombreuses toiles, cette dynamique porteuse de mouvement. Une obsession qui l’accapare du fait de son jaillissement, sa concentration d'énergie, ce défi devant son impossible représentation loin, si loin des canons classiques.
Abstraction alors, suggestion, émotion !

 

Je ne connais pas de signe qui engage un espace.

 

Cette peinture n’a pas de contours, elle n’est pas (en)cadrée mais relève d’une traversée, comme lorsque vous pénétrez dans l’eau, la lumière comme l’eau vous accepte puis vous rejette, et dans ce voyage intime vous touchez le point nodal du dessein de l’artiste, vous approchez l’énergie pure, la manifestation de cette énergie vitale.
Alors le défi est de trouver comment (dé)montrer cette puissance énergétique qui dévaste tout, revigore comme anéantie l’Homme qui s’aventure trop près. Icare des Arts, Tal Coat s’est brûlé plus d’une fois dans cette quête à vouloir maîtriser le surgissement dans la matière. La main fragile fléchit, la courbure s’accentue, il y a une ondulation dans le rayonnement de la toile. Le séchage des nombreuses couches intervient en point d’orgue pour signifier – ou pas – la réussite de l’entreprise quand "il y a des grains de matière qui surgissent dans le séchage, mais ces grains ne sont pas lus tous en même temps".

C’est qu’il faut du temps pour savourer une toile de Tal Coat, il faut s’approcher à pas lents comme vous le feriez d’un animal sauvage surpris à son point d’eau, au crépuscule ; vous chercherez à ne pas l’effrayer mais aussi à trouver le bon angle de vue, selon la lumière diffuse qui vous entoure, afin de ne pas dénaturer l’originale texture, les reflets, pigments, pelage…

 

 

S’il y a la plénitude de la lumière, cette courbure, n’importe quelle direction est la bonne. Toutes ces directions multiples peuvent être, non pas niées, mais mises à leur diapason ultérieurement par une autre direction alors autoritaire.

 

François Xavier

 

Pierre Tal Coat, L’immobilité battante, entretiens avec Jean-Pascal Léger, photographies noir & blanc de Michel Dieuzaide, L’Atelier contemporain, juin 2017, 120 p. – 20,00 euros

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