Hantaï, enfin !

Qui aurait pu imaginer voir Hantaï à la Fondation Louis Vuitton ? Personne, tant il fut oublié depuis la rétrospective de 2013 au Centre Georges Pompidou. Trop surréaliste, trop décalé, trop… mal connu, surtout, tant son œuvre est riche et ne peut se résumer, comme bien souvent, dans le seul acte de plier/déplier ses tableaux, présentée comme sa – seule – méthodologie, signature pour les amateurs de raccourcis. Or, Hantaï n’est pas Buren qui, lui, s’est enfermé dans ses bandes ridicules d’une seule et même largeur qu’il nous impose jusqu’à l’indigestion. Hantaï cherche, donc s’égare, s’éloigne, revient sur ses pas, recommence, imagine, innove, pourfend ; bref, il laisse mille et une traces tout au long d’une œuvre magistrale qui nous est ici donné dans son entier.
Au commencement, après une rocambolesque traversée du rideau de fer depuis sa Hongrie natale, et une installation précaire à Paris en 1948, l’artiste s’intéresse au noir : tiens tiens, il n’y aurait donc pas que Marfaing et Soulages pour aborder le sujet. D’autant que la décennie 1950 le verra travailler sur toute sorte de matières, repeignant même sur ses propres tableaux, étouffant presque ses formes qui s’enfoncent dans ce noir qui l’attire. Il y voit une valeur mystique. Peintre-écrivain, Hantaï laissera un texte fondamental en 1958 dans lequel il signale le sens de la lumière du noir, comme non-manifesté, pigment particulier qui signale la potentialité pure de l’indistinction et le sens initiatique de l’obscurité, nuit obscure de l’âme

La couleur n’existe pas pour Hantaï, si bien qu’un tableau monochrome réservera toujours, par-delà son apparente neutralité, une sorte de vibration de différences qui, dans la couleur résumée, fera naître tout un jeu pour les couleurs déployées. Le tableau devient un procédé de naissance, un acte moderne qui enrichit l’humanité mais en rien ne se donne à lire ; tout au plus à voir – pour ceux qui savent… Mais nos yeux brûlés de certitudes peuvent-ils encore sentir ces affinités, ces surfaces de couleurs – donc de temps – enfouies, puis dépliées, nées, soulevées, s’ouvrant à nous ?

Drôle de monsieur ce Simon Hantaï qui considérait l’art comme fondamentalement éthique, annonçant une intransigeante position sur la liberté de créer que cela induit, ignorant de facto chapelle, école, dogme et marché (il se retirera en 1982, arrêtera la peinture, ébahi par son succès commercial, traumatisé par le bruit médiatique). Hantaï considérait son œuvre comme un véritable travail obstiné, dans lequel on s’investit à l’excès, faire, refaire… encore et encore.
Il travaillait dans la lenteur – hé oui, il existe une autre forme de vie que l’immédiateté actuelle – allant jusqu’à décréter, en 1982, à la manière de Lautréamont, avoir le dessein de se couper la langue et de se crever les yeux – clin d’œil à l’épisode de cécité qui le marqua, enfant. Ne plus parler, faire silence, étudier : là fut son programme. Le seul, pour le conduire à l’aveuglement, dans la veine des surréalistes – qu’il fréquenta quelques temps, très peu tant Breton l'énervait – ou atteindre au dérèglement méthodique de tous les sens à l’instar d’un Rimbaud, pour se résoudre à ne pas voir immédiatement ce que la peinture fait. Hantaï voulait laisser faire la peinture. Affranchi des surréalistes, il peindra sans le soi, tout en ne renonçant pas pour autant à le combattre, figure haïssable (comme le moi selon Pascal) de l’artiste-créateur que le surréalisme a effectivement adulé, et Breton en tout premier lieu.

L’exposition s’ouvre sur les premières expériences picturales (1949-57), annonçant un vocabulaire condensé qui donnera les peintures à signes (1958) puis les monochromes décolorés et le cycle majeur des écritures roses ou grise (1958-59). Viendra alors le pliage (1960) qui découlera sur toutes une série d’essais, de peintures à figures voire des variations interstitielles qui ne forment pas une série à proprement parlé mais des indices qui donneront une sorte de dernier atelier (1982-85)…
Pour ceux qui n’auront pas le loisir de fouler les galeries de la Fondation LVMH, pas trop de regrets à avoir tant la qualité des reproductions est excellente et permet, aussi, quelques privilèges interdits in situ, comme celui de déplacer la toile pour capter la lumière : ainsi, par exemple, en page 189, l’étonnant Mariale m.b.4 donne toute sa force quand on manipule la page pour donner aux crêtes orangées l’éclat lumineux nécessaire et offrir au regard une intensité que l’on aura pas avec les lumières artificielles et la foule collée devant…

 

François Xavier

Anne Baldassari (sous la direction de), Simon Hantaï. L’exposition du centenaire, illustrations couleur et N&B, 300 x 290 mm,  Fondation Louis Vuitton/Gallimard, mai 2022, 368 p.-, 49,90 €

Simon Hantaï, Ce qui est arrivé par la peinture. Textes et entretiens, 1953-2006, édition établie et présentée par Jérôme Duwa, 150 illustrations couleur, coll. Écrit d’artistes, L’Atelier contemporain, février 2022, 300 p.-, 25€

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