Les effacements féminins selon Marion Grébert

Marion Grébert s’intéresse particulièrement à la manière dont la création des images correspond à des expériences de disparition. Cet intérêt d'analyse se double d'une création littéraire, poétique qui positionne son travail de manière originale notamment dans ce regard sur la photographie. Si l'ouvrage parcourt une longue histoire des figurations féminines depuis la naissance de la photographie il permet surtout de voir comment des femmes se sont emparées du médium.
Leur pouvoir d’auto-figuration contraste avec les positions de modèles prévalant depuis des millénaires. Le livre rameute bien des types de femmes : filles, mères, amantes, inconnues énigmatiques, revenantes dans un récit aussi critique que personnel. Il explore surtout le travail de Francesca Woodman et Vivian Maier. Chacune à leur manière ont "imagé" la séparation, la mort, le temps. Elles sont devenues des modèles de créatrices et ont engendré chacune une mythologie. La première en raison de son suicide, la seconde par la pléthore pellicules laissées non développées et sauvées fortuitement.
L'ouvrage expose l’hypothèse d'un tiraillement entre une très grande visibilité figurative et une plus large invisibilité historique qui contiendrait la formule d’un être-au-monde féminin. Les deux artistes américaines l'ont récupérée et réinventée sous forme de visions inédites et qui échappent à la loi du genre. L'art en ces deux types de retraits trouve là une apogée en évoquant comment vivre avec l'angoisse de la disparition par le retrait plus que par l'exhibition.
Jean-Paul Gavard-Perret
Marion Grébert, Traverser l’invisible – Énigmes figuratives de Francesca Woodman et Vivian Maier, 67 illustrations, 160 x 200, L’Atelier contemporain, octobre 2022, 240 p.-, 25€
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