Laurent Jenny : de l'œil au regard

Pour Laurent Jenny, voir est un acte hasardeux, rare et toujours incomplet, bien que souvent nourri de savoirs destinés à l’orienter, l’aiguiser- et parfois parce qu’il l’est et que cela lui dérobe l’opacité et la stupeur du sensible.
À partir de là l'auteur affine les expériences du sensible et de l'art. Les deux sont à la fois comparables mais différentes. Le chien de Goya, noyé dans une marée montante d’ocre, l’espace flottant d’une table mise où rien ne tient chez Bonnard, transforment l'appréhension des perceptions convenues. Tout est décomposé pour une restructuration dont les deux artistes – comme Bacon  et quelques autres – deviennent dans cet essai les "modèles".
Voir un tableau est donc plus complexe que regarder un paysage. En effet, outre les technologies de la peinture un tel acte convoque inconsciemment ou non le savoir et les sollicitations de l’imaginaire, lorsqu'un peintre par la force sa création propose une vision singulière et en avance sur nos habitudes perceptives.
Dans ce but Laurent Jenny explore les déchirures du voir par ses analyses picturales ou photographiques de Cranach à Matisse, de Seurat à Giacometti, de Strand, à Penone. Existe chez eux moins de la folie de re-présenter que de voir plus loin. Comme par exemple à travers la nudité sèche des photos de Walker Evans ou la dérobade du visage chez Giacometti.

Jean-Paul Gavard-Perret

Laurent Jenny, La Folie du regard, L'atelier contemporain, mars 2023, 192 p.-, 20€

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