Claude Luezior : le prophète et le silence

                   


 

 

 

Les « fragments » ou la somme de Claude Luezior deviennent de fabuleux dépôts contre la mort et le silence (c’est parfois la même chose).  Les mots ruissellent de leur liqueur dans chaque page. Ils se mettent aussi  à voler, à flotter sur la terre comme au ciel, aujourd’hui comme demain, ici et ailleurs, dans le réel comme dans l’imaginaire mais toujours pour venir à bout du néant.

 

Le régime des poèmes est fait d’images ardentes et pénétrantes. Elles sont moins des figures de style que la manière de créer un autre rapport au réel que celui de la littéralité. L’apparition, le surgissement de la métaphore transmuent les événements afin que ce qui pourrait mourir ressuscite avant même que la messe soit dite. C’est pour Luezior un ordre, un souhait, une invite, une adresse à l’autre et à soi-même. Le poète revendique le cycle vital ininterrompu qui désigne l’ordre mouvant d’une vie faite bien sûr d’accidents de parcours. Mais il en donne un contrepoint. A la ténuité des vers répond leur alchimie qui vient broyer le silence pour échapper aux Golgotha du temps.

 


La trilogie reste une arche singulière et unique, tout ce que le monde contient de beauté, de grâce et de magie et de douleurs aussi est rameuté dans un « paysage poétique » qui n’a rien de mièvre ou d’anthropocentrique : les sentiments contribuent à faire de ce recueil l’étrange narration d’une perpétuelle résurrection contre le silence de plomb. Avant d’être un miracle révélé, cette renaissance apparaît ainsi comme le destin d’un monde qui croît encore au futur à partir d’un présent constamment mouvementé et pas forcément « positif ».

 


Face au silence de mort c’est  finalement de réconciliation qu’il s’agit : concorde et concordance des êtres en dépit de leurs différences. Encore faut-il accepter comme le fait Luezior le glacis du temps qui passe et ses vicissitudes  pour espérer croire en la résurrection des corps. Elle est aussi celle du monde, celle d’une vie que le froid hivernal endort pour mieux assurer sa poursuite. Dès lors, les Métamorphoses que contait Ovide Luezior les reprend à sa main : il suffit de quelques mots, d’un choix finalement assez restreint d’expressions pour dire la grâce et la nécessité d’une création qui impose - contre vent et marée -  une sérénité. On l’appellera folie du sage.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


 Claude Luezior, Trilogie : Fragment, D’un seul geste, La couleur du silence, 90 p., 92 p., 100 p., 12 Euros chacun, 2015, coll. Poesie(s), L’Harmattan, Paris.

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