George Sand, l’inspiration jour après jour

On ne relit jamais les ouvrages de George Sand sans y découvrir avec plaisir et presqu’à chaque fois une image oubliée, une idée originale, des mots qui brillent à nouveau par leur clarté simple, une mélodie des sentiments qui s’accorde à l’air du moment. Au-delà des titres les plus courants et pris parmi une longue liste, comme La Mare au diable, La petite Fadette, Lélia, François le Champi, qui lit encore les autres romans moins connus, son théâtre, les textes de ses engagements sociaux et politiques ou encore ceux publiés dans le journal de Lamennais ?

Si on se lance dans cette aventure, alors le regard porté sur une œuvre qui semble pour certains pléthorique, « bavarde avec son style coulant cher aux bourgeois » selon Baudelaire, s’amplifie au contraire, change les perspectives, aborde des angles inédits. Des livres qui, au plus près d’une vie constituant déjà en soi un roman singulier, rendent compte de ses combats et témoignent de ses passions successives dont il faut croire à la sincérité.

"J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé", pouvait-elle dire, en pensant à Aurélien de Sèze, à Musset, à Chopin, à des amants plus lointains. A Alexandre Manceau enfin, actuel tenant du titre, l’autre héros que Marie-France Lavalade, conférencière, professeur d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, met en face de cette incroyable femme qu’est George Sand, placée évidemment au premier rang de ce roman. Elle l’admire, on la comprend. Bien que son rayonnement soit moindre maintenant qu’il y a vingt ou trente ans, George Sand reste un repère de notre littérature.

Victor Hugo, pourtant attentif à ne pas céder aux louanges abusives, la salua comme "une immortelle".

Ne voulant surtout pas écrire une énième biographie, se centrant sur une période précise, Marie-France Lavalade est partie de sources sûres, les fameux agendas - près de vingt carnets - tenus par Manceau, graveur sur cuivre et auteur dramatique à ses heures (citons Une journée à Dresde, comédie en un acte et en vers, largement oubliée), pour rédiger son livre.

Confident amoureux, Alexandre révéla George à elle-même. Elle prendra le relais des agendas après sa mort.

Page après page, accompagné par un style alerte, coloré, peignant les décors familiaux à la manière de tableaux vivants, le lecteur entre dans ces deux existences qui se partagent un spectacle intérieur, privé, déroulé au fil des saisons puisque l’histoire commence en hiver et s’achève environ seize années plus tard au printemps. Maurice le fils chéri, Emile Aucante le secrétaire dévoué, Marie Caillaud la cuisinière au mauvais caractère, Eugène Lambert, Jules Boucoiran, le père Aulard, Charles Duvernet qui "a des ambitions littéraires", tant d’autres acteurs animent ce théâtre particulier qui a pour régisseur, souffleur, réalisateur, metteur en scène unique et absolu, George elle-même, que l’âge étreint lentement et qui travaille inlassablement.

Lire ce roman, c’est être invité à Nohant, à Gargilesse, à voyager en Italie, en Auvergne, à partager le lent passage des jours, quand il pleut, quand on plante un arbre, quand les invités au déjeuner ennuient ou égaient leurs hôtes, quand la musique berce les soirées et la nature change de tons, quand se déploie les secrets de cette province berrichonne que la dame en bonne souveraine a déchiffrée dans ses détails, quand les disputes cabriolent, "quand Aurore rit aux éclats et amuse toute la compagnie par ses jugements sur les grands artistes, Raphaël un poseur, Léonard, un ingénieur qui a peur qu’on l’oublie pour le peintre", Titien le maître vénitien, Michel-Ange le fabuleux statuaire.

Voilà dévoilé à travers les confidences d’Alexandre le cours des semaines à la félicité tranquille, ponctuées des frictions, des jalousies, des écueils inhérents aux rencontres de la vie, aux croisements affectifs, aux traits d’esprits vifs ou quelconques qui entourent une telle personnalité.
"Le bonheur n’est pas un mot, c’est une île lointaine. La mer est immense et les navires manquent » nota un jour la romancière. Critiquée de son vivant, plus tard célébrée à sa juste mesure, il convient de se rappeler qu’elle disait que « l’esprit cherche et c’est le cœur qui trouve."

Après Liszt, Balzac, Delacroix, Flaubert, Marie France Lavalade, comme les hôtes précédents de la "châtelaine", est entrée une fois dans la "demeure Sand" et y est restée. Pour nous proposer de la suivre à notre tour. Le volume est épais mais l’écriture allègre l’allège. Signalons qu’elle a également publié un Dictionnaire George Sand et  s’est investie dans la vie et l’œuvre du décorateur oublié Alexis-Joseph Mazerolle, pour lequel elle a organisé en 2015 une exposition à La Piscine, à Roubaix. 

Dominique Vergnon

Marie-France Lavalade, George et Alexandre, L’Harmattan, janvier 2017, 481 pages, 29 €

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