Jean-Baptiste Andrea : tristesse et mystère

Nous entendons parfois jouer cet homme dans une gare ou un aéroport : un piano mis à disposition des pires saccageurs de clavier permet aussi de découvrir un talent fou qui interprète une fugue bien connue. Notre homme est là, il se nomme Joseph et il nous raconte son histoire. Enfant, après le décès de ses parents dans un accident d’avion, il a été placé dans un orphelinat sinistre et n’a dû sa survie qu’à une poignée de copains plus ou moins saints, plus ou moins diables : Fouine, Momo, Sinatra, Danny, Souzix (né sous X !), bien que cyniques et durs, l’aident un peu face aux autorités : l’abbé Sénac et son âme damnée Grenouille, ancien légionnaire… Ces gens veulent le réformer, le rendre sage et bon chrétien, lui qui ne connaît de la vie que les touches d’un piano. Et bientôt, ce seront les touches d’une machine à écrire, afin d’être au service de l’abbé. La vie s’écoule dans le froid glacial des Confins, au-delà des Pyrénées, entre la disparition mystérieuse de Danny, la faim et la peur, les châtiments corporels telles les capes de pisse infligées au petit Momo.

Ce n’est pas le moindre talent de Jean-Baptiste Andrea que de rendre doux et mystérieux cet univers horrible, en instillant une dose de poésie et la finesse de Beethoven entre les lames de parquet, les douches glacées, la religion utilisée comme arme de torture et les caveaux hantés. Un jour, presque un miracle : Rose survient ; elle est la fille d’un bienfaiteur de l’orphelinat qui exige qu’on lui donne des leçons de piano. Voici la fille du richomme et l’orphelin misérable contraints de se fréquenter et, très vite, de se haïr. Même si elle ne veut pas apprendre à jouer du piano, elle est fascinée par ce garçon qui joue merveilleusement, l’emmenant loin sur les volutes des sonates dont elle ignore tout. Lentement, précautionneusement, ils vont apprendre à s’aimer.

Elle lui raconte la triste et merveilleuse histoire du torero et du taureau entièrement blanc auquel il réserve sa dernière estocade (nous ne la déflorerons pas ici). Rose a elle aussi une histoire triste à raconter, comme Joseph. Ils veulent fuir ensemble.
La méchanceté des hommes et un affreux concours de circonstances font qu’ils se perdent de vue : Joseph n’arrive pas à connaître l’adresse de Rose. Vont-ils se retrouver un jour ? Mystère. En tout cas, quarante ans plus tard, c’est bel et bien Joseph qui joue du piano dans les aéroports et les gares, ayant gaspillé son talent et peut-être sa vie. Il se souvient qu’autrefois, ses camarades et lui ont joué à se raconter l’histoire la plus triste du monde, et son histoire à lui paraît écrire une suite à cette litanie – il nous avait prévenus d’emblée : Laissez-moi distiller les couleurs de ma nuit.

Il est bien difficile de restituer ici la poésie, la finesse, le chant désespéré qui émanent de ces pages. Il est certain qu’on n’avait guère lu, ces dernières années, un roman français aussi puissant, drôle, émouvant et de plus, impossible à lâcher avant d’avoir atteint la dernière page.


Bertrand du Chambon

 

Jean-Baptiste Andrea, Des Diables et des saints, L’Iconoclaste, janvier 2021. 363 p.-, 19 €

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