Jacob, Jacob de Valérie Zenatti : Ode à l’oncle disparu

Au départ, il y a une simple photo : quatre copains fiérots posent en uniforme dans le port d’Alger en août 1944. Au milieu, on distingue un jeune homme solaire aux yeux comme des lacs. Jacob Melki a 19 ans, aime réciter Hugo et Nerval, chanter à tue-tête, et la France qu’il ne connaît que par les livres.

 

Valérie Zenatti, l’auteur d’En retard pour la guerre (l’Olivier 2006) et traductrice émérite d’Aharon Appelfeld, ne sait rien de plus sur cet oncle mystérieux. Elle lui a consacré un livre magnifique, tout entier traversé de nostalgie et de poésie, une sorte de pont entre l’Algérie et la France, entre réalité historique et reconstruction imaginaire. 

 

À Constantine, les Melki vivent dans la pauvreté, sous la férule d’Haim qui a la taloche facile, mais plutôt heureux. Les trois frères de Jacob sont des gaillards : rien d’étonnant donc que Jacob soit vénéré par les femmes, Rachel sa mère, d’abord, mais aussi sa tante ou Lucette, la voisine qu’il charme par son côté sensible et doux. Pourtant ce garçon enjoué connaît sa première humiliation : en 1941 on lui interdit les portes du lycée d’Aumale, car il est juif. La nation le trouvera bien assez français en 1944 pour l’envoyer libérer le pays. Pour ce lettré qui n’a jamais quitté sa ville, la découverte de la mère patrie est dure : combats terribles, sang et larmes tandis que la famille se consume dans l’attente. Dans la troisième division d’infanterie algérienne, qui part à l’assaut des collines de Provence, on entend prier Dieu en hébreu et en arabe.

 

Romancière au souffle puissant, Zenatti nous plonge dans une fiction émouvante sur le déracinement, l’exil et les liens familiaux. Tour à tour incantatoire, intime et universelle, l’écriture est ici un joyau. Les copains tombent, la guerre semble ne jamais vouloir finir et Jacob, qui n’a jamais connu l’amour, espère toujours s’en sortir. Mais le destin en décide autrement, précipitant les siens, qui apprennent la terrible nouvelle un mois après les faits, dans le trou noir du deuil et du silence. Le récit d’un de ces Algériens morts au combat dans cette guerre porte déjà en lui les prémices d’une autre guerre, coloniale celle là, et de l’exil définitif. Terrible mélopée.

 

Ariane Bois

 

Valérie Zenatti, Jacob, Jacob, édition de l’Olivier, août 2014, 165 pages, 16 € 

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